vendredi 29 mars 2024

Esaïe 53

Illustration: insignes du 53e Régiment de Transmission de Lunéville et de sa Compagnie de Commandement et de Logistique dans laquelle je fis mon service en 1999 en tant que Premier Transmetteur affecté à l’armurerie (Contingent 99/02).
Stephan Pain·samedi 23 avril 2016
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Esaïe 53 selon la traduction du rabbinat:

1 Qui a ajouté foi à l’annonce qui nous a été faite? Et à qui s’est révélé le bras de Dieu?
2 Il poussait devant lui, pareil à un faible rejeton, à une racine plantée dans un sol brûlé. Il n’avait ni beauté, ni éclat pour attirer nos regards, ni grâce pour nous le rendre aimable.
3 Méprisé, repoussé des hommes, homme de douleurs, expert en maladies, il était comme un objet dont on détourne le visage, une chose vile dont nous ne tenions nul compte.
4 Et pourtant ce sont nos maladies dont il était chargé, nos souffrances qu’il portait, alors que nous, nous le prenions pour un malheureux atteint, frappé par Dieu, humilié.
5 Et c’est pour nos péchés qu’il a été meurtri, par nos iniquités qu’il a été écrasé; le châtiment, gage de notre salut, pesait sur lui, et c’est sa blessure qui nous a valu la guérison.
6 Nous étions tous comme des brebis errantes, chacun se dirigeant de son côté, et Dieu a fait retomber sur lui notre crime à tous.
7 Maltraité, injurié, il n’ouvrait pas la bouche; pareil à l’agneau qu’on mène à la boucherie, à la brebis silencieuse devant ceux qui la tondent, il n’ouvrait pas la bouche.
8 Faute de protection et de justice, il a été enlevé. Qui pourrait décrire sa destinée? Car il s’est vu retrancher du pays des vivants, les coups qui le frappaient avaient pour cause les péchés des peuples.
9 On a mis sa sépulture avec celle des impies, son tombeau avec celui des [mauvais] riches, quoiqu’il n’eût fait aucun mal et qu’il n’y eût jamais de fraude dans sa bouche.
10 Mais Dieu a résolu de le briser, de l’accabler de maladies, voulant que, s’il s’offrait lui-même comme sacrifice expiatoire, il vît une postérité destinée à vivre de longs jours, et que l’œuvre de l’Éternel prospérât dans sa main.
11 Délivré de l’affliction de son âme, il jouira à satiété du bonheur; par sa sagesse le juste, mon serviteur, fera aimer la justice à un grand nombre et prendra la charge de leurs iniquités.
12 C’est pourquoi je lui donnerai son lot parmi les grands; avec les puissants il partagera le butin, parce qu’il s’est livré lui-même à la mort et s’est laissé confondre avec les malfaiteurs, lui, qui n’a fait que porter le péché d’un grand nombre et qui a intercédé en faveur des coupables.

Pour un chrétien, judaïsme et Islam sont de même nature. Ce sont deux religions à dimension sociétale globale qui définissent le rôle du Messie comme le restaurateur d’un territoire théocratique rayonnant spirituellement sur le monde entier. Le christianisme, quant à lui, par opposition, se fonde sur l’établissement du royaume céleste, c’est à dire l’ensemble de la communauté des croyants. La gloire du Messie restaurateur ne peut s’accomplir que dans le succès politique ou militaire. Il est inenvisageable que sa gloire naisse de sa souffrance comme le pense les chrétiens. Si bien que seuls les chrétiens ne peuvent admettre que Esaïe 53 puisse être une prophétie qui concerne la passion du Messie à sa première Venue. Juifs comme musulmans réfutent catégoriquement cette interprétation.
Mais cette interprétation est, selon moi, bien postérieure à la période messianique. Il s’agit d’un travail exégétique propre aux évangélistes. Ce que les contemporains du Messie ont accepté comme prophétie accomplie est le Psaume 22 qui commence par la phrase “Mon Dieu pourquoi m’as tu abandonné?”. Je vous invite à lire cet article:
https://www.stephanpain.com/2015/12/22/mon-dieu-mon-dieu-pourquoi-mas-tu-abandonne/
Mais le Psaume 22 n’a jamais été mis en avant, on lui a toujours préféré Esaïe 53. Surement, comme je le démontre dans l’article, parce que le Psaume “coince aux entournures”. Esaïe 53 se focalise sur le concept de la souffrance. Toutefois, il demeure un passage qui pose problème:

53.10 Mais Dieu a résolu de le briser, de l’accabler de maladies, voulant que, s’il s’offrait lui-même comme sacrifice expiatoire, il vît une postérité destinée à vivre de longs jours, et que l’œuvre de l’Éternel prospérât dans sa main.

Je suis tombé sur une vidéo “islamique” d’un collectif prétendant combattre les mensonges et les allégations. Cette vidéo se sert de ce passage pour démontrer l’erreur chrétienne. Il se range du point de vue juif, en prétendant qu’Esaïe 53 ne parle pas du Messie. Son argument principal est que le terme postérité (zer’a) désigne une descendance physique. Des enfants donc. Or, tout le monde s’accorde sur le fait que le Messie n’a pas eu de descendance physique lors de sa première Venue. Nous allons donc nous intéresser au terme postérité (zer’a avec un aïn à la fin) dans le reste du livre d’Esaïe. Il est vrai que dans la majorité des cas, ce terme est lié au physique. Mais nous avons ce passage ci:

6.11 Je dis : Jusqu’à quand, Seigneur ? Et il répondit : Jusqu’à ce que les villes soient dévastées Et privées d’habitants; Jusqu’à ce qu’il n’y ait personne dans les maisons, Et que le pays soit ravagé par la solitude; 12 Jusqu’à ce que l’Éternel ait éloigné les hommes, et que le pays devienne un immense désert, 13 Et s’il y reste encore un dixième des habitants, ils seront à leur tour anéantis. Mais, comme le térébinthe et le chêne conservent leur tronc quand ils sont abattus, une sainte postérité renaîtra de ce peuple.

Dieu parle d’un anéantissement total. Ce qui est décrit ici semble être le résultat des deux guerres judéo-romaines qui a laissé la Judée exsangue. C’est pourtant de ce bain de sang, que va émerger une nouvelle communauté dite chrétienne. Et si les premiers groupes furent d’ascendance juive, le christianisme connut un véritable essor au sein d’autres populations. Il n’y a donc pas de lien physique, mais un héritage spirituel. L’héritage du Livre. Le Livre est surement le tronc que décrit le verset d’Esaïe 6. De plus, les Évangiles sont remplis de paraboles qui utilisent du vocabulaire “physique”, comme les moissons, le pain, le levain, les semis, etc… pour décrire des phénomènes spirituels. Rien de tel que des images qui parlent aux gens simples.
L’argument qui consiste à prétendre que postérité serait circonscrit au champ physique parait donc bien faible dans une correcte appréhension des Évangiles. On ne peut que tristement constater qu’ils ne sont lus par beaucoup de musulmans que de manière technique afin de s’adonner au sport favori de nombre d’entre eux: la réfutation. Soupir.
Les versets précédents sont intéressants:

5 Alors je dis : Malheur à moi! je suis perdu, car je suis un homme dont les lèvres sont impures, j’habite au milieu d’un peuple dont les lèvres sont impures, et mes yeux ont vu le Roi, l’Éternel des armées. 6 Mais l’un des séraphins vola vers moi, tenant à la main une pierre ardente, qu’il avait prise sur l’autel avec des pincettes. 7 Il en toucha ma bouche, et dit : Ceci a touché tes lèvres; ton iniquité est enlevée, et ton péché est expié.

Vraisemblablement, il s’agit du serviteur Moïse, paix sur lui. Son défaut à la langue serait donc une miséricorde accordée par Dieu après avoir fait parti de l’élite polythéiste égyptienne, ce qui lui aurait fait tenir des discussions outrageantes. Ce défaut ne serait donc pas de naissance comme le prétend la tradition, mais serait apparu lorsqu’il se serait rendu la première fois au mont Sinaï, lors de l’épisode du buisson ardent. Poursuivons la lecture:

8 J’entendis la voix du Seigneur, disant : Qui enverrai-je, Et qui marchera pour nous? Je répondis : Me voici, envoie-moi. 9 Il dit alors: Va, et dis à ce peuple : Vous entendrez, et vous ne comprendrez point; Vous verrez, et vous ne saisirez point. 10 Rends insensible le coeur de ce peuple, Endurcis ses oreilles, et bouche-lui les yeux, Pour qu’il ne voie point de ses yeux, n’entende point de ses oreilles, Ne comprenne point de son coeur, Ne se convertisse point et ne soit point guéri.

Ce passage traite, quant à lui, de l’épisode du veau d’or. Le peuple demeure associateur malgré tout pendant des siècles. Et nous revenons au verset 6.11. Associateur jusqu’à que la nouvelle communauté chrétienne apparaisse. Voilà qui confirme que le judaïsme moderne n’est qu’un christianisme alternatif en rupture avec le judaïsme antique. Et que la première période messianique correspond au changement de paradigme entre polythéisme/monolatrie et véritable monothéisme.
Enfin, revenons à la fin du chapitre 53 et à la postérité. Voici le début du chapitre suivant:

1 Réjouis-toi, stérile, toi qui n’enfantes plus ! Fais éclater ton allégresse et ta joie, toi qui n’as plus de douleurs ! Car les fils de la délaissée seront plus nombreux Que les fils de celle qui est mariée, dit l’Éternel. 2 Élargis l’espace de ta tente; Qu’on déploie les couvertures de ta demeure: Ne retiens pas! Allonge tes cordages, Et affermis tes pieux ! 3 Car tu te répandras à droite et à gauche; Ta postérité envahira des nations, Et peuplera des villes désertes.

Cette fois, il est bien question d’une descendance physique qui se répand sur la terre. Mais ce ne sont pas les enfants d’Israël. La femme stérile à qui s’adresse Dieu ici est Agar, la servante de Sarah, femme d’Abraham, paix sur lui, alors dans son grand âge. Dieu annonce que les enfants d’Ismaël, paix sur lui, c’est à dire les descendants d’Agar, abandonnée au désert, seront plus nombreux que ceux de Sarah. Mais cela, les chrétiens se gardent bien de le lire…
Paix sur vous.