vendredi 29 mars 2024

L’Au-delà ou rien

Dernières modifications le 7 décembre 2019·11 minutes de lecture

Il doit avoir la cinquantaine et une bonne situation. Nous montons dans sa voiture et nous nous éloignons de la mosquée où nous nous sommes rencontrés. C’est une voiture allemande haut de gamme relativement récente. Jusque là tout semble s’accorder. Et puis, il y a ce moment bizarre où le temps s’est arrêté. J’entendais le fameux groupe des Tarterêts s’inviter dans l’habitacle sans mon accord. C’est alors que je réalisais l’emprise réelle de ce groupe sur la population qui s’étendait bien plus loin que les jeunes ou la banlieue. Comment un groupe de cloud rap a-t-il pu s’imposer dans les esprits au point de passionner ceux qui se disent croyants? Certains me diront que la réponse est dans l’acronyme qui constitue le nom du groupe. Certes. Mais des techniques de manipulation psychologiques ne suffisent pas à expliquer un tel raz de marée. Les ressources mises en jeu paraissent bien plus conséquentes. Tous ceux qui sont familiers du Tube savent très bien que les contenus à caractère politique sont souvent censurés sous divers prétextes. Quand ils ne le sont pas, des techniques simples sont utilisées pour faire descendre les vidéos dans les profondeurs. Ainsi la censure n’apparaît pas au grand jour. Les apparences sont sauves. Et si certains devaient trouver les choses anormales en étant du coté des manettes, on leur expliquerait calmement qu’il en va du bien commun. Qu’il s’agit de lutter contre le fascisme, le radicalisme, le désordre ou que sais-je encore. Bref. Tous ceux qui ont l’esprit ouvert savent très bien comment tout cela fonctionne.

126 millions de vues sur le Tube pour le morceau phare en 7 mois. Pourquoi le “système” promeut-il des rebelles? Je rappelle que pour ce clip, le CNC, c’est à dire un organisme d’état qui est en charge de l’argent public, a contribué à hauteur de 80 000 euros.Dans ce flot d’argent à en faire tourner la tête cela peut paraître dérisoire, mais cela trahit tout de même un parti pris. Il s’agit d’un consentement de principe. Pour des rappeurs qui se présentent comme indépendants, accepter une subvention de l’état, parait quelque peu déplacé.

Dans une première approche, il est assez aisé de saisir l’objectif principal visé. Il s’agit de s’acheter la paix sociale. De la même manière que l’on injecte de l’argent dans les banlieues et que l’on y laisse proliférer le trafic de drogue. C’est la paix sociale 2.0. Quelque part, force est de constater que la dimension virtuelle de l’achat de paix sociale possède un rendement bien supérieur à son ancêtre local. Avec quelques groupes de raps bien ciblés, on peut toucher des millions de gens. Alors bien sur, l’influence des masses par la musique n’est pas du tout un phénomène nouveau. La science dans le domaine est en pointe. Sauf que dans le cas qui nous préoccupe, nous avons une dimension quasi mystique. En effet, c’est une sorte de mythe qui s’élabore sous nos yeux. “Dans la légende” est d’ailleurs le nom de l’album qui a propulsé le groupe vers les sommets. L’introduction du clip « au sommet » a clairement une dimension mystique: on peut y déceler une évocation de la Venue messianique de la fin des temps sur les nuées. Sur un mythe se construit une religion. Certains diront que les deux frères sont musulmans et que leurs textes sont imprégnés de culture islamique. Mais cela ne veut rien dire. Toutes les religions faites de mains d’hommes vampirisent la Révélation. Il s’agit de se réapproprier tous les codes pour les inverser. Parler de Dieu dans une phrase, puis parler de péchés manifestes ou d’insultes dans une autre. Je ne vais pas me lancer dans une analyse des textes et des images des clips, d’autres l’ont déjà fait. Ce qui constitue le coeur de l’emprise sur ces millions de gens, c’est bel et bien la glorification de la drogue. Après avoir parcouru les fils de commentaires, j’ai du me rendre à l’évidence: les morceaux du groupe aident à passer les longues nuits du Ramadhan. Cela confirme bien que si l’alcool reste très mal vu dans les pays musulmans, le joint y règne en maître. Aucun interdit explicite dans le Coran. Sans commentaire. Et voilà toute cette foule de jeunes et de moins jeunes qui se laisse bercer dans la musique pour passer le temps pour les plus fervents, dans les fumées afin de supporter le monde d’ici-bas pour ceux qui le sont un peu moins, ou de se prendre à rêver de convoiter les biens de ce monde pour les plus matérialistes. Voilà. Quasi tout le monde est visé. Seule une poignée de barbus les yeux rivés sur leurs livres saints seraient apparemment capables de faire face car ils ont abolis toute musique sans discernement. Ce ne sont certes pas les oiseaux de mauvaise augure qui condamnent l’écoute de ce groupe qui ont un quelconque crédit. Que peuvent faire quelques voix face au rouleau compresseur numérique? Pas grand chose. Ils sont tournés en dérision. La partie semble perdue pour l’immense majorité. Semble seulement.

Ceci étant dit, intéressons-nous à cette histoire par un autre biais. Comme beaucoup le savent, le père des deux rappeurs est un ancien braqueur décédé il y a quelques années seulement. Tout commence en 1995, lorsque le fils héritier de la première firme de fabrication d’avions militaires français, étroitement liée avec le pouvoir et dont la quasi totalité des revenus sont sous secret défense, se met en tête de ravir la mairie de Corbeil aux communistes. Il faut savoir qu’en France, les quartiers sensibles du 21ème siècle sont d’anciens quartiers ouvriers d’après-guerre. Parfois les bastions tombent assez facilement quand on y investit l’argent intelligemment. Le père des deux rappeurs du sud de la banlieue parisienne, alors dans la fleur de l’age, est donc choisi par le milliardaire parce qu’il est à la fois craint et respecté dans les quartiers. Il y a créé une association d’insertion et se charge de redistribuer les subventions. Idéal pour blanchir de l’argent pourrait-on imaginer. La recette est familière et nous rappelle une actualité récente. L’homme riche est donc facilement élu. Mais tout ne se passe pas comme prévu pour l’ancien braqueur reconverti dans l’associatif: il est contraint de s’exiler en Corrèze. Vous vous doutez bien qu’il est quasi impossible de comprendre pourquoi. A-t-il été désavoué par le maire? A-t-il été trahi par un de ses lieutenants qui a voulu prendre sa place? L’exil dure une dizaine d’années. Les deux frères sont alors adolescents. C’est l’age charnière qui décide souvent de l’avenir. Et ce moment va être pour eux plutôt privilégié. Si la loi du silence pèse aussi étrangement sur cet épisode, c’est tout simplement qu’il ne cadre pas du tout à la légende des rebelles en marge de la société. Les deux frères sont en réalité bien plus stables qu’ils ne le prétendent. Sauf sur un point que je développerai plus tard. Passionnés de raps comme un grand nombre, ils produisent des morceaux anecdotiques dans un style plutôt conventionnel, c’est à dire plutôt agressif qui n’a pas grand chose à voir avec leur production actuelle. En 2014, ils vont donc passer du statut d’obscur rappeurs, à références du rap game. Et ce, en très peu de temps. Remontons d’une poignée d’années en arrière. En 2012, le père, accompagné d’un ami ex-boxeur, se rend dans le bureau de celui qui est alors devenu ancien maire car son élection a été invalidée par le conseil d’état pour corruption. Il vient lui demander sa part du gateau. Tout cela aurait pu rester secret comme tout ce qui se passe dans ce genre d’arrangements. Sauf que là, toute la conversation est filmée. Les 25 mn de l’échange sont diffusées floutées mais avec les voix bien reconnaissables par deux journaux mainstream à forte audience en 2013 (elles sont disponibles assez facilement). Le scandale est retentissant. La vidéo vient confirmer tous les accusations à l’égard du vieil héritier. Dans les années qui suivent, la justice va dérouler son action à son encontre. Seule la mort le sauve d’affaire. Dans certains morceaux, les deux rappeurs font référence au maire et lui crient leur haine.
On pourrait penser naïvement que tout cela n’a aucun lien.
Il n’en est rien. Dans toute cette histoire, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. Le groupe use et abuse du principe du secret. Cela fait parti intégrante de leur stratégie de communication. Ils entretiennent la légende d’un groupe qui se fait tout seule en marge des médias et des majors. Mais que fait le père lorsqu’il livre la vidéo aux médias sinon trahir un secret du milieu? Se plaindre publiquement que l’on n’a pas reçu des pots de vin, cela n’existe tout simplement pas. Il est question de millions d’euros ici, il faut bien se le mettre en tête. On exécute des gens pour beaucoup moins que ça dans ces quartiers.
Désolé, le couplet sur le braqueur repenti qui dénonce le méchant milliardaire corrupteur aux médias, je n’y crois pas une seconde. La réalité est autre. Il est clair que le père n’a pas agi de son propre chef. Il a subi des pressions ou bien il a reçu des promesses. L’assassinat raté par “l’homme de main” du vieil homme ferait parti du plan. Il s’agirait ici d’attaquer ce dernier ou bien ce qu’il représente. Ce serait les véritables ennemis de celui-ci qui sont les commanditaires. Des ennemis politiques. Rien à voir avec l’argent. Vous commencez à cerner? Parmi les multiples déclarations du fils D. à l’égard des classes ouvrières, il y en a eu une qui a attiré spécialement mon attention: il s’est déclaré ouvertement homophobe (Tout est rapporté sur Wiki). Il n’est clairement pas un progressiste et ne fait pas parti de la droite socialo-compatible avec le bloc de gauche. Il est donc devenu l’homme à abattre.
Ou plutôt, nous devrions le considérer comme une incarnation de la corruption politique de l’ancien monde et ce, aussi de par ses liens avec la classe politique de la 5ème République. Le nouveau monde, qui développe de nouvelles techniques de corruption, est simplement en train de s’affirmer en lui portant le coup de grâce.

Il faut comprendre que cette entité spirituelle est obsédée par le symbolisme. Cette entité a rétribué les deux frères pour les services rendus par leur père par un cadeau satanique. Le couronnement de cette folle ascension c’est la tour Eiffel. L’orgueil de ces gens.  Ils y accèdent le 22 mars 2019. Ce n’est pas n’importe quelle date. Le lendemain matin, soit le même jour islamiquement parlant, les Gilets jaunes entament une marche qui va les mener en haut de la butte Montmartre. Il s’agit de célébrer la Commune. Une semaine après avoir pris les Champs-Elysées et vengé l’humiliation allemande de 1870 sur cette avenue, ceux qui pensent manipuler les “révolutionnaires” veulent venger la construction de l’édifice sacré en le condamnant symboliquement. Au même moment le focus d’internet est sur la tour Eiffel.  (voir mon article: le mythe de la Commune)
https://www.stephanpain.com/2019/03/29/le-mythe-fondateur-de-la-commune/

Tout aurait pu être parfait. Tout semblait gagné. Tout sauf un grain de sable. Il se trouve que cette synchronicité témoignant d’un zèle de vainqueurs permet d’établir un lien métaphysique entre les deux événements et de déconstruire les mythes des uns et des autres.
D’un coté, ceux qui se sacrifient pour faire changer les choses mais à qui on imprime dans les têtes “Ni Dieu, ni maître.” De l’autre, les croyants dont toute volonté de rébellion est anéantie dans les fumées.

Quel est le but poursuivi par les croyants au travers de leurs actions:
Le pouvoir politique?
L’argent? Les femmes? L’orgueil d’avoir raison?
Attendre la fin des temps sans en être acteur parce que l’on attend des signes qui ne viendront jamais?

juste:

L’Au-delà ou rien.