Anduze über Alès

En 1992 a été trouvée à Nîmes une pierre de l’époque pré-romaine, portant une inscription gauloise écrite en caractères grecs dont les archéologues proposent la traduction suivante : « Nertomaros fils de Boios (et) N-maros d’Anduze » (« d’Anduze » étant écrit phonétiquement en grec andousiatis) »
Ce qui signifie que Anduze se prononçait initialement avec le son ‘ou’ avant d’être francisé.
Anduze fut le quartier général des forces protestantes. Tandis qu’Alès est considérée comme bastion avancé du pouvoir centralisé. Anduze est une porte des Cévennes, tandis qu’Alès est dans la plaine.Tout cela pour exprimer: En douze über alles: En douze par dessus-tout.

Après un long périple, un échec apparent et récurrent. Me voilà dans les montagnes à réfléchir. Habituellement, ce sont des petites églises, voire des chapelles que l’on trouve dans les petits villages perdus. Mais nous sommes dans les Cévennes, et on peut y trouver des temples protestants hors agglomération. En voici un à Mialet, près d’Anduze, où je randonnais la veille. Il est disposé en octogone. Au centre une table. Sur cette table, une Bible est ouverte en plein milieu. La Parole jaillit. Quelques minutes plus tard, de retour dans la forêt, sans faire le lien avec cette rapide visite, je me mets à réfléchir sur une expression coranique qui m’avait donné du fil à retordre…

Il y a de cela plusieurs années, en réaction à une certaine actualité, je me penchais sur la question de l’esclavage en Islam. Ma recherche m’avait mené vers l’expression « ma malakat aymanukum » sur qui se concentrent tous les enjeux. Le résultat était mitigé et ne permettait pas de conclure. Cette fois, l’inspiration m’est venu en partant sur les routes. Mais ce ne fut pas si simple: s’attaquer au sens de l’expression nécessite également de reconsidérer le sens d’autres mots.

L’esclave de

Dans le Tafsir classique , ce terme désigne les esclaves (femmes ou hommes), souvent associés à la captivité légale suite à la guerre ou bien à la faillite économique. Il en est déduit l’autorisation d’avoir des rapports sexuels avec des femmes esclaves sans contrat de mariage.

Les versets centraux utilisés et qui font polémique sont:

4.24 et (vous sont interdites), parmi les femmes, les muḥṣanāt dames (mariées), sauf si elles sont vos esclaves en toute propriété. Prescription d’Allah sur vous! (…)

4.25 Et quiconque parmi vous n’a pas les tawl moyens pour épouser des muḥṣanāt femmes libres (non esclaves) croyantes, eh bien (il peut épouser) une femme parmi celles de vos esclaves croyantes. (…)

Rectification proposée :

Mā malakat aymānukum désigne non pas des esclaves, mais des personnes placées sous une tutelle légitime. Nous verrons plus loin le cas des convertis, des personnes vulnérables, ou des non-Israélites/Ismaélites accueillies dans la communauté. Le cas précis qui nous préoccupe ici est celui des femmes qui n’ont plus de famille, c’est à dire qu’elles n’ont plus de tuteur masculin de leur sang. Je me vois contraint de préciser qu’il ne faut pas considérer les choses selon notre perspective d’un état moderne où des structures ont été mis en place pour prendre en charge les plus faibles. Autrefois, une femme seule était condamnée à l’indigence. Le tuteur était donc avant tout dans un engagement moral de prendre soin d’elle. Généralement le tuteur était un membre de la famille. Mais il existe des cas, notamment pour les orphelines, où la femme ne peut pas être pris en charge par un proche. Le Coran propose alors une solution: la prise en charge par un homme d’une autre famille. Un contrat moral est alors établi qui doit être respecté par les deux parties. La femme s’engage donc à respecter l’autorité du tuteur en échange de sa prise en charge. C’est le concept d’autorité qui est retranscrit par malakat. La notion de contrat est décrite par aymanukum, puisqu’il est question de la main droite, celle qui prête serment.
L’expression pourrait se traduire par: « celles/ceux sur qui vous avez autorité par serment ».

4.3 Et si vous craignez de n’être pas justes envers les orphelins, il est permis d’épouser deux, trois ou quatre, parmi les femmes qui vous plaisent, mais, si vous craignez de n’être pas justes avec celles-ci, alors une seule, ou des esclaves que vous possédez. Cela, afin de ne pas faire d’injustice.

Ce verset est initialement mal interprété sur la question de la polygamie. Comme nous l’avons vu, il s’agit bien de redonner un père à des enfants orphelins de père, généralement à la suite d’une guerre. Bien évidemment, les conditions requises ne sont pas que matérielles, la prise en charge d’une famille étendue est bien plus impactant sous bien d’autres aspects. Deux femmes semblent déjà une grande épreuve. Mais les versets sont également une pierre d’achoppement: il fallait laisser aux faussaires des écritures toute latitude afin de bien exposer leur travers au grand jour. La traduction utilise donc un pluriel pour désigner d’hypothétiques esclaves. En réalité, l’expression est indéfinie. Étant donné la proposition précédente, concernant l’unicité de la veuve, on en déduit simplement qu’une seule femme sous tutelle est concernée.

Sens unifié de muḥṣanāt

Dans le Tafsir classique, Muḥṣanāt peut vouloir dire soit femmes libres, soit femmes chastes, soit femmes mariées, selon le contexte. Ces variations créent des tensions dans la lecture des versets comme 4:24–25.  Rectification proposée:

  • Le terme désigne toujours des femmes consacrées à Dieu dans une forme de chasteté volontaire. Il s’agit d’une prolongation du vœu de naziréat de la Torah. Le meilleur exemple est Samuel, paix sur lui, consacré par sa mère à vie. La personne consacrée est alors sous l’autorité d’un prêtre, dans le cas de Samuel, ‘Eli. Il réside alors au Temple.
  • Le lien sexuel ne devient licite que si Dieu lève le vœu (kitāb Allāh ʿalaykum), comme une autorisation exceptionnelle.
  • La chasteté est un état spirituel reconnu, non une simple virginité ou un statut social.

Tawl (4:25) et patience spirituelle

Tafsir classique :Tawl = « moyens financiers » : autorisation de mariage avec une esclave si on n’a pas les moyens d’épouser une femme libre. Rectification proposée :

  • Tawl = longueur/patience/attente : Il s’agit de l’attente d’une élue consacrée (muḥṣana) en période de vœu. Celui qui n’a pas la patience d’attendre peut se tourner vers une jeune femme croyante sous tutelle (fatayātikum mu’mināt).

  • Le verset valorise l’endurance spirituelle, pas l’aisance  matérielle.

Le verset 4.24 explique que le tuteur peut se marier avec une muhsanat. Nous en déduisons que le vœu de naziréat prend fin si l’autorité religieuse disparait. Il s’agit d’un cas exceptionnel, par exemple lorsque le Temple est détruit. Autre solution, plus simple: le prêtre lui-même peut épouser la consacrée. Dans le Coran, le cas où le mariage n’est pas consommé est évoqué. Nous pouvons en déduire que les vierges consacrées peuvent tout de même se marier et conserver leur voeu. Ces suppositions sont bien plus acceptables que de légitimer le mariage avec une esclave déjà mariée.

Intimité

Nous avons:

23.5  et qui préservent leurs sexes furuj,
6. si ce n’est qu’avec leurs épouses ou les esclaves qu’ils possèdent, car là vraiment, on ne peut les blâmer;

ainsi que:

24.58 Ô vous qui avez-cru! Que les esclaves que vous possédez vous demandent permission avant d’entrer,

Ces deux versets semblent entrer en contradiction, dans le sens où le premier semble légitimer les rapports sexuels avec les esclaves possédés, tandis que le deuxième enjoint à ceux-ci de respecter la pudeur du maitre de maison. Le verset 23.5 est au coeur de la polémique sur les dérives légitimées. Pour comprendre, il convient de prendre en compte que l’expression utilisée dans le verset est une métaphore. Ce n’est pas le sexe à proprement parler qui est désigné, mais l’intimité. Si nous étendons la sphère intime, non pas, aux organes génitaux mais à l’espace du foyer, alors cette sphère inclut des personnes avec lesquelles il n’est pas question d’avoir des rapports sexuels. Le verset s’adresse au croyant qui est garant de l’inviolabilité du foyer vis à vis de l’extérieur. Il en est donc le gardien. Sont permis les femmes et les personnes sous tutelle, parmi d’autre. Toutefois, le verset 24.58 stipule que bien que les personnes sous tutelle soient admises dans le cadre du foyer, elles doivent respecter certaines règles liées à la pudeur puisqu’elles ne sont pas strictement de la famille. Ce statut peut évoluer si la personne sous tutelle conclut un mariage avec le chef de famille. Encore une fois, la formulation de ces versets constitue une pierre d’achoppement pour légitimer certaines déviances.

Égalité communautaire (30:28)

30.28 Il vous a cité une parabole de vous-mêmes: Avez-vous associé vos esclaves à ce que Nous vous avons attribué en sorte que vous soyez tous égaux [en droit de propriété] et que vous les craignez [autant] que vous vous craignez mutuellement? C’est ainsi que Nous exposons Nos versets pour des gens qui raisonnent.

Tafsir classique: Parabole contre le polythéisme: on n’associe pas ses esclaves à ses biens, donc on ne doit pas associer à Dieu. Rectification proposée: Lecture communautaire: Dieu rappelle que vous ne considérez pas ceux sur qui vous avez autorité comme vos égaux, pourtant vous exigez d’eux soumission et fidélité. Appel implicite par analogie à reconnaître les convertis comme égaux en dignité et en droits, et abolir toute forme de supériorité raciale ou tribale dans la Oumma.

De même, en étendant l’analogie, nous pouvons considérer les communautés et leur héritages respectifs. Ainsi le verset invite à considérer l’égalité de Salut.

33.50 Ô Prophète! Nous t’avons rendu licites tes épouses à qui tu as donné leur mahr (dot), celle(s) dont tu as autorité légalement parmi celle(s) qu’Allah t’a destinées, Nous savons certes, ce que Nous leur (les croyants) avons imposé au sujet de leurs épouses et de celles sur qui ils ont autorité, afin qu’il n’y eût donc point de blâme contre toi. (…)

33.52  Il ne t’est plus permis désormais de prendre [d’autres] femmes, ni de changer d’épouses, même si leur beauté te plaît; – à l’exception de ma malakat aymanuka.

Enfin le Prophète, paix sur lui, et son statut particulier, comme le rappelle ce passage. Un nombre de femmes supérieur à celui de ses disciples, mais un nombre limité néanmoins. Nous comprenons qu’il s’agit là de 12 femmes (épouses ou femme(s) sous autorité). Il s’agit ici de renouveller les 12 tribus d’Ismaël, paix sur lui, à la manière de Jacob, paix sur lui. A la différence que ces lignées sont des lignées spirituelles et non physiques. Il s’agit d’établir 12 voies spirituelles au travers des 12 personnalités féminines qui ont entouré le Prophète, paix sur lui. De la même manière, nous avons aussi 12 courants majeurs dans le christianisme issus des 12 personnalités des Apôtres.

Voici une proposition du Chat pour les 12 voies principales en Islam:
Description possible
Soufisme Voie mystique de l’intériorité
Chiisme Transmission par la maison du Prophète
Sunnisme classique Transmission par les compagnons
Salafisme Recherche d’une pureté première
Kharidjisme Radicalité juridique et indépendance du pouvoir
Rationalisme mu’tazilite Voie intellectuelle fondée sur la justice
Ash’arisme Scolastique sunnite dominante
Hanbalisme Fidélité stricte au texte
Juridisme malikite ou hanafite Voies de régulation communautaire
Ibadisme Ancienne dissidence pacifique
Ismaélisme Voie ésotérique hiérarchisée
Voie populaire Islam des masses, du dhikr et du corps social

Il ne s’agit pas de fermer l’interprétation mais plutôt de décrire une méthodologie d’analyse. Un schéma similaire peut être appliqué au christianisme:

Les 12 voies chrétiennes – exemples contemporains

Voie chrétienne Principe Exemples actuels
1 Contemplative Vie tournée vers la prière, l’adoration, le silence Mère Meera, Communauté de Bose, Fraternité de Jérusalem
2 Missionnaire Annonce de l’Évangile dans le monde Frère André (Open Doors), Les missionnaires de la charité, OM, Alpha
3 Charismatique Vie portée par les dons spirituels : guérison, prophétie, louange Louange collective (Hillsong, Glorious), Chemin Neuf, Bethel, ICC
4 Martyriale Témoignage dans l’oppression ou au péril de sa vie Les 21 coptes d’Égypte (2015), chrétiens de Corée du Nord, de Syrie, d’Irak
5 Ascétique Renoncement à soi, discipline, jeûne, sobriété Ermites urbains, communautés monastiques comme Taizé, Chartreux
6 Pastorale Accompagnement spirituel, soin des âmes Pape François, pasteurs ruraux, prêtres de terrain, aumôniers d’hôpital
7 Pauvre Vie au service des pauvres, des exclus L’Arche de Jean Vanier, Emmaüs, les sœurs de Mère Teresa, Secours Catholique
8 Théologique Étude rigoureuse de la foi, dialogue interreligieux Rémi Brague, Rowan Williams, Olivier Clément, NT Wright, Hans Küng
9 Liturgique Sens de la beauté, du rite et du sacré Orthodoxie contemporaine, messe grégorienne, liturgie byzantine
10 Prophétique Dénonciation des injustices, appel à la conversion collective Dorothy Day, Desmond Tutu, Leonardo Boff, chrétiens éco-spirituels
11 Familiale Transmission de la foi dans le foyer, sanctification du quotidien Mouvements comme les Familles de Nazareth, foyers scouts, Opus Dei domestique
12 Servante Humilité, entraide cachée, soin quotidien Les sœurs âgées anonymes, bénévoles en catéchèse, mères chrétiennes silencieuses

Dans le Temple, la Bible était ouverte à une page du livre des Chroniques: De 2 Ch 8.11 à 9.31. Il y est question, en lien avec l’article, de la rencontre entre la reine de Saba et Salomon, paix sur lui. Selon certains, il s’agirait d’une reine de la région d’Egypte. Séba en langue egyptienne signifie « étoile ». La femme serait donc la reine de l’étoile. Cela nous renvoie au rêve de Joseph, paix sur lui, où les étoiles symbolisent ses frères et donc les tribus d’Israël. Nous pouvons en déduire que le peuple de la reine de Saba préfigure un peuple parmi les nations en lien avec le Messie. C’est alors que tous les versets concernant l’expression « ma malakat aymanukum » peuvent s’éclairer d’un nouveau jour. L’expression  désignerait alors une femme sous autorité spirituelle par decret divin, ce qui nous fait penser à la Ummah, liée au Messie à sa seconde Venue. Tandis que le Messie est lié initialement avec l’Eglise, qui serait la Muhsana.

En douze über alles

Paix sur vous.