samedi 27 avril 2024

Dessine-moi un mouton

Dernières modifications le 5 octobre 2014·9 minutes de lecture

Le sacrifice de l’Aïd a toujours fait couler beaucoup d’encre. Si dans le judaïsme les fêtes sont très nombreuses, ce n’est pas le cas en Islam. Il n’y en a véritablement que deux. Aussi, lorsqu’un rite est prescrit en particulier en dehors de la pratique régulière, il convient d’y porter attention dans une perspective eschatologique. Dans le judaïsme originel, au moment de Pessah, qui marque la sortie d’Égypte, de nombreux rites étaient pratiqués, dont celui du sacrifice des agneaux. Lorsque Jésus, appelé l’agneau de Dieu, est crucifié, au même moment que les agneaux sacrifiés au Temple, il faut comprendre que le rite est en réalité une prophétie. Comme il est souvent répété dans les Évangiles: les écritures s’accomplissent dans la Passion. Pour plus en savoir sur le sujet: /le-pain-sans-le-vin/

Ceux qui comprenaient la mission du prophète, se préparait donc à s’affranchir de l’attente du royaume terrestre (analogie avec la sortie d’Égypte) au moment où celui-ci était sacrifié.

Nous voici 2000 plus tard. Une nouvelle levée du voile a lieu. Une prophétie s’est glissé dans l’Aïd al adha, la plus grande fête de l’année pour un musulman. Le temps est venu de livrer l’enseignement de cette fête. Le sacrifice d’un mouton est réalisé en mémoire de celui qui a été égorgé par Abraham, paix sur lui, alors qu’il s’apprêtait à le pratiquer sur son propre fils unique. La compréhension de ce passage est quasi identique à celle qu’ont eu les juifs. Abraham a montré sa complète dévotion à Dieu et était prêt à sacrifier ce qu’il avait de plus cher au monde. Tout croyant, selon les théologiens, est donc enjoint de célébrer la grande piété du prophète patriarche et de prendre exemple sur lui.

Lorsque l’on cesse d’obéir servilement à la Tradition, et que l’on met ses tripes sur la table alors une idée vient irrémédiablement en tête: comment peut-on admettre que Dieu puisse demander à l’un de ses rapprochés de commettre le meurtre d’un innocent?

La foi ne justifie pas tout.

Mais avant de se pencher sur le texte du sacrifice en lui-même, il est essentiel de contextualiser. En effet, l’histoire débute réellement lorsque Dieu annonce à Abraham une immense descendance à partir de son propre fils. Lui et sa femme sont alors très avancés en âge. Il a plus de 80 ans. S’imaginant que Sarah, qui est sa demi-soeur, est infertile, ils avaient abandonnés tout espoir d’avoir une descendance naturelle. Comme la prophétie concerne l’homme, c’est donc tout naturellement que Sarah propose à son mari de faire un enfant à sa servante Agar. Elle tombe enceinte. Mais bien vite les deux femmes se jalousent. Agar s’enfuit une première fois au désert de par sa propre volonté. Mais Dieu la renvoie chez ses maîtres en lui promettant une descendance bénie. Ismaël naît. Trois messagers rendent visite au prophète. Ils annoncent à Sarah qu’elle enfantera Isaac. Sodome est détruite. Malgré l’intercession d’Abraham, Dieu n’a pas hésité à raser la ville et ses habitants. Le prophète a donc pu constater de ses yeux la puissance du Créateur et ses décisions irrévocables. C’est donc dans un état d’esprit un peu particulier, emprunt d’une grande crainte que l’épisode du sacrifice a lieu. Ce qui n’est pas dit ici, et que l’on peut alors imaginer, c’est que le prophète se sent coupable d’avoir écouté sa femme et d’avoir fait un enfant à Agar. Il s’attend surement à devoir payer cette erreur d’interprétation de la volonté divine. Il n’a pas compris que cette erreur était voulue et servait le Créateur en dernier ressort car celui-ci avait besoin de créer deux nations distinctes.

Voici le passage en question dans le Coran, 37:102-111:

Quand il (Ismaël) fut en âge de l’accompagner, il (Abraham) dit : « Ô mon fils, je me vois dans mon sommeil en train de te sacrifier. Vois donc ce que tu en penses.
Il dit : « Ô mon père, fais ce qui t’es ordonné. Tu me trouveras, si Dieu le veut, du nombre des endurants ».
Quand tous deux se furent soumis, et qu’il l’eut jeté à terre sur le front,
Nous l’appelâmes : « Ô Abraham !
Tu as ajouté foi en la vision ». C’est ainsi que Nous récompensons les bienfaisants.
C’était là une épreuve claire.
Nous le rachetâmes d’un sacrifice considérable.
Nous avons perpétué son souvenir dans la postérité.
Paix sur Abraham.

A aucun moment Dieu ne dit qu’il demande à son prophète de tuer son enfant. Ce n’est qu’Abraham qui interprète un songe. Une interprétation qui est orientée par la situation psychologique post-traumatique dans laquelle il se trouve. Par complète dévotion, il ne voit donc pas d’autre alternative que de tuer son fils unique. D’autant plus que la mésentente règne entre les deux femmes. Dieu arrête son geste et l’informe qu’il s’agissait là d’une épreuve. Dieu ne précise pas si l’épreuve a été réussie ou non, ni même sa nature. Toujours est-il que Dieu conclut en disant qu’il rachète son prophète, de la racine FDY: faday, rançonner/racheter. Ailleurs dans le Coran, ce terme est utilisé pour signifier une action exécutée pour réparer une erreur ou pour compenser l’absence d’un rite. Or, Abraham était sur le point de s’exécuter. Une question fondamentale se pose ici: élu par Dieu, jusqu’où est-on capable d’aller pour répondre à ses ordres? Aussi, peut-on être catégorique sur la nature d’un ordre divin? Un élu de Dieu ne peut-il pas se tromper? Ses erreurs, anticipées, ne serviraient-elles pas Dieu?

Enfin la question qui me parait fondamentale ici: dans la perspective d’une soumission aveugle sans effort de compréhension de l’acte commandé, réaliser que la déviation naturelle d’un rite, peut avoir comme conséquence que ce rite puisse être dénaturé, voire finir par être néfaste. En poussant le raisonnement plus avant, l’ensemble des rites déconnectés de leurs significations va engendrer cette pensée pervertie qu’est le sionisme, c’est à dire la situation de prédestination absolue, en l’absence de tout libre-arbitre.

A présent, revenons à notre époque. Qu’attends donc Dieu de nous, si ce n’est réaliser par nous-mêmes nos égarements en vue de les corriger? L’humanité doit accéder à la maturité. Pour cela, il n’est plus possible de pratiquer des rites sans les comprendre. A l’opposé, il n’est plus possible non plus d’agir en complète négation du Créateur et de sa volonté. La maturité, c’est suivre la voie du juste milieu. Que font les musulmans? Ils égorgent des moutons par un décret d’Allah. Mais Allah ne mange pas de mouton.

Voici l’interprétation que je donnais à cette prophétie ces deux dernières années: Les moutons symbolisent les enfants des parents musulmans. Ces derniers sacrifient la génération à venir, de par ce qu’ils leur transmettent, en obéissant aveuglément à un ordre, non pas venant de Dieu, mais venant des savants. Il ne serait pas pertinent d’abolir le rite de l’Aïd en statuant entre « savants ». Ce sacrifice est en réalité un témoignage de l’évolution spirituelle musulmane globale. 
Sacrifiez de votre temps pour réveiller les moutons.

Étude du verset biblique

Voici le verset Genèse 22.2

Dieu dit : Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, (Isaac); va-t’en au pays de  Moreh(Morija), et là « offre-le en holocauste » sur l’une des montagnes que je te dirai.

Le mot pour offrir en holocauste est olah (עֹלָה). Nous retrouvons ce mot ailleurs dans la Bible, orthographié différemment:

2Chr 1.6 Là, sur cet autel de cuivre, placé devant le Seigneur et faisant partie de la Tente d’assignation, Salomon offrit mille holocaustes(עֹלוֹת).

Or, nous retrouvons, selon cette deuxième orthographe, un autre mot:

Eze 40.26 On y montait (עֹלוֹת) par sept degrés, avec des vestibules devant eux ; des palmes se trouvaient d’un côté et de l’autre sur ses pilastres.

Le contexte est sans ambiguïté: dans ce dernier verset il n’est nul question d’holocauste, mais bien de l’action de monter. Ce qui signifie que si Abraham, paix sur lui, a « entendu » l’ordre donné, il avait donc le choix d’interpréter le mot olah par holocauste ou bien l’action de monter (son fils sur la montagne) dans le sens de lui rendre hommage depuis un point haut auprès de son Créateur afin de l’élever, c’est à dire de le consacrer. Comme nous l’avons vu, ce n’est que parce que le contexte de sa vie s’y prêtait, qu’il était conditionné psychologiquement ainsi, qu’il en a déduit qu’il devait le supprimer pour que la promesse de Dieu n’ait pas été contournée. L’enseignement de l’histoire fondatrice du monothéisme, est que, quelque soit la proximité que l’on puisse avoir avec Dieu, nous ne ferons jamais qu’interpréter Sa volonté. Nous ne sommes pas dans sa « tête ». L’infaillibilité humaine est donc impossible. Cela comprend l’intégralité des prophètes. Et c’est tant mieux. C’est la croyance en l’infaillibilité qui mène à toutes les dérives. Car celui qui prend pour guide un homme qu’il considère infaillible, se considère infaillible lui-même.

G 22.2
Dieu dit : Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes,  va-t’en au pays de  Moreh, et là élève-le sur l’une des montagnes que je te dirai.

Septembre 2016

Beaucoup de choses se sont déroulées depuis la première rédaction de cet article. A présent, il me faut rappeler une prescription de la Torah: il ne convient pas de sacrifier un agneau dans le lait de sa mère. Cette prescription indiquait qu’il convenait d’abattre un agneau sevré (qui ne tête plus le lait de sa mère). Cette prescription a été totalement dénaturée par les rabbins qui ont enseigné à leurs ouailles qu’il ne fallait pas manger l’agneau et le lait à la même table. Déplorons le ridicule absolu de ce commandement rabbinique. Et ce, d’autant plus, qu’il a été élargi à toutes les viandes, dans un souci de zèle dans la soumission. Encore une illustration de la dérive des rites et de la déconnexion d’avec le sens réel. L’agneau a été sacrifié il y a 2000 ans. La prophétie semble avoir été accomplie. Quel est le lien entre la Passion et le lait de la mère?

Il nous faut alors nous tourner sur le temps présent. Parce que j’ai acheté un camion, j’ai fait sacrifier un agneau français pour les pauvres. Deux jours avant l’Aïd. Il me fallait affirmer clairement mon refus de participer à cette fête, tout en montrant que ce n’était pas par refus de faire plaisir à Dieu, par avarice ou militantisme végétarien. Je ne suis pas tout à fait encore en mesure de conclure…

Réflexion:

Il ne faut pas perdre de vue néanmoins le rôle éducatif du sacrifice animal. En ces temps d’hyper-industrialisation, et tout particulièrement ici dans la filière de la boucherie, le fait de responsabiliser le chef de famille au sacrifice de l’animal, incite chacun à un rapport plus raisonné à la consommation de nourriture et au refus du gâchis. Toutefois, le fait que tout le monde sacrifie à la même date, engendre la situation d’une grande quantité de viande fraîche disponible au même moment. Si l’on prend comme prétexte de nourrir les pauvres, les conditions matérielles ne sont pas réunis pour acheminer la nourriture (et je parle en connaissance de cause). La seule solution est la congélation, ce qui dénature l’idée d’un jour de fête unique. Et je ne parle pas ici du stress des animaux alors que tout le monde agit dans l’urgence en dépit de nombreuses règles sanitaires.

Note:

Moriah a été mis entre parenthèse car il s’agit de la traduction selon la tradition juive. La traduction correcte du verset selon la Bible Samaritaine devrait être Moreh. Seul un yod sépare les deux mots. Voir cet article: 
https://www.stephanpain.com/2015/08/27/more/