mercredi 24 avril 2024

Le pakol

27 février 2014, 21:26

Depuis que je suis rentré de mon périple en Grande-Bretagne, je porte quasi constamment un pakol. Cela me vaut d’être dévisagé et parfois même regardé de la tête aux pieds par les français de souche mais aussi par les croyants à la mosquée. Nous voyons là les ravages de la propagande. Le pakol est un simple béret traditionnel dont les origines remontent à l’empire macédonien. Il n’a aucun lien avec l’Islam. Toutefois le port d’un couvre chef est recommandé pour les croyants et bien souvent il est aisé de reconnaitre la tradition d’un musulman à ce signe distinctif. Cela peut favoriser les échanges en voyage.

Mais, dans la tête de tout le monde, ce chapeau populaire est lié aux talibans, donc associé au rigorisme,  à la violence et à la lutte armée. Si nous pouvons trouver des excuses au peuple français pour son ignorance crasse, il n’en va pas de même pour les musulmans qui fréquentent les mosquées qui sont majoritairement maghrébins et empruntent à la péninsule arabique des vêtements ne faisant pas partie de leur propre tradition. En clair, il y  autant de légitimité à un marocain de porter le qamis arabe qu’à moi de porter un pakol afghan.

Bien souvent les gens se contentent donc de maugréer, ricaner ou se perdre en conjecture à mon égard. Rares sont ceux qui viennent me voir pour me demander la raison qui me pousse à porter cet objet. Il est à noter que ces personnes sont généralement des africains sub-sahariens.

Je vais donc vous raconter l’histoire de ce chapeau.

Nous voici en Mai 2012. Ma conversion à l’Islam était toute fraîche et je ne possédais pas beaucoup de vêtement liés à l’Islam. En clair, je me cherchais au niveau style. Je débarquais à Budapest chez des amis qui s’étaient recréé une petite communauté musulmane en terre hostile. Une oasis dans un désert spirituel. Il me semble qu’il n’y a que deux mosquées pour tout Budapest qui est une énorme ville. J’avais l’esprit encore bien imprégné de trance. J’avais découvert un magasin ethnique et je portais fièrement un sarouel de couleur violet et vert. Difficile de passer inaperçu en ville avec cela. Et encore moins dans une mosquée.

Pourtant, alors que je m’asseyais dans la salle de prière, un homme très doux s’est adressé à moi et m’a fait des compliments sur ma tenue. Compliment qui m’est allé droit au coeur, car l’homme était habillé de très noble manière avec un gilet ton sur ton sur son qamis. Un homme soigné au regard doux et droit. Il me demande alors comment je suis venu à l’Islam. Je lui réponds que j’ai étudié par moi-même et que j’ai compris la Vérité. Il acquiesce. Il ne lui en faut pas plus. Allah est grand.

Nous échangeons encore quelques mots puis je dois suivre mes amis qui ressortent de la mosquée. A ce moment là, considérant son allure vraiment chic par rapport au reste des croyants, je le retiens juste avant qu’il ne disparaisse. Je lui demande où l’on peut se procurer un gilet comme le sien. Plutôt que me répondre, il se précipite vers une armoire dans le couloir de la mosquée et en tire une tenue complète d’afghan: qamis court avec pantalon assorti, gilet noir et pakol. Il me donne le tout. Je suis totalement confus. Je n’ai pas d’autre choix que d’accepter. Il tient à rajouter un turban. J’insiste pour qu’il n’en fasse rien. C’est déjà bien trop. Il me dit qu’il va revenir et il disparait. J’attends, mais mes amis au dehors commencent à s’impatienter. Ne le voyant pas revenir, je suis contraint à contre cœur de sortir sans l’avoir revu. Mes amis sont médusés de me voir avec ces cadeaux en main.

J’ai, cette journée là,  porté le pakol ainsi que mon sarouel violet et vert. Très original!

J’apprends alors que cet homme vit dans la mosquée depuis des mois et que toutes ses affaires sont contenues dans cette armoire dans le couloir.  Il est accusé de meurtre dans son pays et l’a fui. Il n’a donc pas de papier et n’est pas libre de ses allers et venues. Je réalise alors l’immense cadeau qu’il m’a fait. Je suis troublé.

J’ai longtemps porté le pakol en souvenir de cet homme puis je l’ai laissé de coté. Surement par conformisme. Toutefois, lors de toutes mes prières à la maison, c’est généralement son qamis que je porte.

Je suis heureux d’assumer enfin de porter ce trésor et de faire de cet objet un moyen de me rappeler de la douceur de cet homme et de l’injustice qu’il subissait en ce bas-monde.Il s’appelle Abdoul Bachir: le serviteur de celui qui annonce la bonne nouvelle. (Bachir est un des noms de Muhammad, sallallah alayhi wa salam)