samedi 27 avril 2024

Ordre et désordres

L’objectif de cet article est de reconstituer le processus de transmission de la contre-révélation entre le monde égyptien et la Judée du premier siècle.  La technique qui consiste à poser les choses par écrit puis à faire des mises à jour successives s’avère fructueuse. Il ne faudra donc pas s’étonner de voir une hypothèse contredite par la suite dans le processus d’élaboration. Au mois de janvier, suite à une intervention judicieuse de l’adversaire dans la « discussion », nous voilà avec une nouvelle porte de la compréhension ouverte. Il s’agit de s’y engouffrer en se servant de toutes les données disponibles et en utilisant la méthodologie qui a fait ses preuves jusqu’ici. La réflexion va user du concept de l’adversaire qui règne au ciel introduit dans la Septante au travers du livre d’Esaïe, paix sur lui. L’article précédent a posé les bases d’une tradition d’opposition. Le conte des deux frères semble correctement expliqué.

Tout d’abord, considérons la date de rédaction de la Septante. Nous sommes aux alentours de -270. Selon les informations disponibles, le livre d’Ésaïe aurait été traduit au début du siècle suivant. Si à l’époque des massorètes, c’est à dire bien des siècles plus tard, la traduction était considérée comme une grave atteinte à la Torah, ce n’était pas le cas durant les premiers siècles. Du moins, c’est l’avis qui se dégage des témoignages. Toutefois, il convient d’être prudent. Il apparaît clair que les partisans de cette démarche en sont complices et ne reflètent pas forcément l’avis majoritaire. Comme d’habitude le temps efface les traces de ceux qui ne pactisent pas avec les puissants. La Septante est née  à Alexandrie sous l’impulsion, dit-on du souverain ptolémaïque de l’époque. La synagogue la plus proche du palais était décrite comme parée d’un grand luxe. Dans ces temps là, on se souciait beaucoup moins de sauvegarder l’apparence aux yeux de l’opinion publique. Gageons qu’elle était surement inaccessible au bas-peuple. Ceci étant dit, il faut bien se mettre en tête que la motivation à traduire un texte religieux hébreu pour un souverain polythéiste de culture grecque n’a strictement rien à voir avec la laïcité ou l’ouverture d’esprit. Le christianisme n’existait pas. La Torah ne concernait que ceux qui étaient dans l’Alliance. Ses principaux guides religieux étaient nécessairement hébraïsant. Bien entendu, la diffusion des enseignements pouvait se faire en grec. Mais il ne s’agissait ainsi que de diffuser et faire vivre une pensée issue d’une source homogène. Épargnons-nous l’analyse du mythe de la création du livre. En effet, rien que de prétendre qu’il y aurait eu des représentants des 12 tribus travaillant de concert sur un même projet sous l’autorité unique d’un prêtre de la capitale judéenne alors que les deux royaumes se sont séparé environ 5 siècles plus tôt, est particulièrement risible. Epargnons-nous également les propos élogieux à l’égard du souverain. Une idée s’impose assez vite: la réelle motivation de l’élaboration de ce livre nous est cachée. Pour comprendre ce dont il s’agit, il nous faut contextualiser. Du point de vue de la Révélation, notre outil de travail est le livre de Daniel, paix sur lui. Si ce livre prophétique nous est parvenu, c’est que les informations qu’il contient ne concernent pas seulement les gens de l’époque afin de les aider à situer la venue du Messie, mais aussi à enseigner notre époque sur la grille de lecture à avoir. Le livre de Daniel dans la Bible fait référence à quatre empires successifs dans la vision du roi Nabuchodonosor. Ces empires sont symbolisés par une statue aux différentes parties en or, en argent, en bronze et en fer. Les quatre empires sont généralement interprétés de la manière suivante:

  1. Empire babylonien (VIIe siècle av. J.-C. à 539 av. J.-C.) : Représenté par la tête en or de la statue, symbolisant la grandeur et la puissance du règne de Babylone sous Nabuchodonosor.
  2. Empire médo-perse (539 av. J.-C. à 331 av. J.-C.) : Représenté par la poitrine et les bras d’argent, symbolisant la conquête de Babylone par Cyrus le Grand et l’alliance entre les Mèdes et les Perses.
  3. Empire grec (331 av. J.-C. à 63 av. J.-C.) : Représenté par le ventre et les cuisses de bronze, symbolisant l’ascension d’Alexandre le Grand et l’empire grec qui a suivi après sa mort.
  4. Empire romain (63 av. J.-C. à 476 ap. J.-C.) : Représenté par les jambes de fer et les pieds en partie de fer et en partie d’argile, symbolisant la force militaire de l’Empire romain. Certains interprètent les pieds en argile et en fer comme une période de division et de fragmentation de l’empire.

A ce moment là de l’histoire, nous serions donc durant l’empire grec.  Si vous avez suivi mes écrits, mon enquête textuelle m’avait fait perdre la trace de l’Ordre pendant plusieurs siècles. Nous savons qu’il a traversé le monde antique puisque sa présence est attestée au travers des 4  empires. Nous avions compris également que si le conte des Deux frères avait été inventé dans le contexte d’une reconstruction spirituelle après l’échec cuisant de l’Exode, cette matière mythologique ne semblait pas à même de redonner un nouveau souffle à l’Ordre une fois qu’il avait abandonné l’Egypte. Or, nous avons constaté au travers de différents articles autour de la période messianique que l’Ordre avait alors totalement vampirisé Israël. Deux questions se posent alors: comment et surtout pourquoi?

Il me semble que la Septante n’est pas une cause mais d’avantage un symptôme de cette main-mise. Même si la rédaction grecque d’Esaie date du début du -2 ème siècle, on peut imaginer que le concept introduit était déjà adopté au début de la traduction globale. Lorsque l’on considère la transition de l’empire grec à l’empire romain, nous sommes face à une évidence: tout cela n’est que politique. En réalité, l’empire grec n’a pas vraiment disparu car sa culture s’est enracinée profondément dans tout le bassin méditerranéen. Le panthéon romain est une version réactualisé du panthéon grec. A l’occasion, j’ai appris que la dernière phrase prononcée par Jules César, généralement rapporté en: « tu quoque mi fili » avait été surement prononcé en grec. Cela explique également les relations privilégiées des hauts dignitaires romains avec la reine d’Égypte. Rome n’est qu’un enracinement géographique alternatif. Un clan a pris le pas sur tous ceux qui rayonnent dans la partie est de la méditerranée.  Nous en venons au mythe fondateur de Remus et Romulus. Deux frères. Nous sommes sur la bonne piste. La fondation de la ville telle qu’elle est contée est située vers le milieu du 8ème siècle. Cela parait cohérent avec les données archéologiques de la ville de Rome: elle est devenue une cité à part entière à ce moment là. Bien entendu l’Ordre n’y était pas encore implanté. Cette prise de pouvoir est daté du moment de la création du mythe, c’est à dire vraisemblablement sous la plume d’un certain Pictor à la fin du -3ème siècle. Analysons le texte. Les deux frères sont issus principalement de la fusion à Babylone de deux traditions occultes: l’une perse, l’autre égyptienne. C’est l’expansion de l’empire grec qui va donc favoriser le déplacement géographique du résultat de la fusion. Les deux frères partent de Troie après que la ville a été conquise par les grecs. Ils sont ensuite recueilli par une louve. Comme de nombreux commentateurs l’ont compris, derrière le mot louve se cache une prostituée. En langage biblique, un peuple qui se prostitue est un peuple qui se livre à l’idolâtrie. Cela signifie que l’Ordre prend racine dans la société polythéiste romaine. Nous pourrions être surpris, de cette opposition. C’est qu’en réalité, l’Ordre est déjà constitué à ce point là de l’histoire autour d’un dualisme qui est un monothéisme altéré. Le polythéisme est réservé au peuple. Ce dualisme est issu en grande partie du zoroastrisme du point de vue conceptuel. Mais l’appui des écritures révélées va conférer à ce dualisme une dimension légale. C’est d’ailleurs ce dernier point qui vient donner un sens au sillon creusé par Romulus. Il s’agit de définir un cadre légal. Ceux qui transgressent les règles de l’Ordre sont exclus et punis de mort. L’ordre ne peut advenir du chaos qu’au prix d’une recherche d’un cadre légal précis et respecté scrupuleusement. Toutes les confréries d’hier et d’aujourd’hui mettent en avant la quête spirituelle de perfection de leurs adeptes. Sauf que le mythe omet sciemment d’indiquer qu’il existe toujours un deuxième cercle beaucoup plus restreint à l’intérieur du premier. Les lois sont alors susceptibles de s’inverser. La raison de cette inversion se justifie par la légitimité d’accès à la magie qui permet de s’affranchir des contraintes. La composition du noyau dur se fait par cooptation.

Si la doctrine de l’Ordre est le résultat d’une fusion,  elle est aussi porteuse d’une volonté farouche de prendre une revanche sur ceux qui condamnent fermement la magie, à savoir les porteurs de la Révélation. Ce mythe voit l’accomplissement d’un but poursuivi depuis des siècles: l’un des deux frères est tué définitivement. Un seul peut subsister. Nous pouvons relier cette mort symbolique à la chute de la Samarie en -722. Le frère besogneux est mort.  Ce que les membres de l’Ordre signifieraient alors au travers de ce mythe, c’est qu’ils considèrent leur victoire définitive comme acquise et qu’ils n’ont plus besoin d’être légitimés par les porteurs de la Révélation. Le déshonneur lié à l’Exode a enfin été effacé. En effet, le royaume de Samarie s’est maintenu durant les 5 siècles qui ont suivi et n’a jamais réussi à se reconstituer de manière autonome par la suite.

Les oiseaux de proie ont désigné le frère noble. Le choix porté sur la symbolique de l’oiseau de proie me semble justifié par le fait que l’aigle est le seul animal qui puisse regarder le soleil, la divinité majeur du panthéon de la matrice égyptienne. C’est une affirmation de défiance et de rébellion. Ceux qui osent défier le Créateur obtiennent le droit d’acquérir la magie car ils ont démontré qu’ils valaient mieux que le reste des hommes.

L’enlèvement des Sabines pourrait symboliser les terres conquises progressivement par l’Ordre en s’implantant localement au sein de l’élite. Une fois le réseau bien implanté, l’empire romain pouvait émerger politiquement. La tête de l’empire est ce qui apparait en dernier. Nous avons un processus similaire dans la France du 18ème siècle. Une fois le réseau des loges fermement implanté dans le royaume, le roi put être renversé. Même processus pour la fin de l’empire Ottoman.