samedi 20 avril 2024

Justice

Modification le 18  avril 2024

Dans un article récent, j’émettais un avis sur un personnage biblique sans étayer mon propos. Ce personnage, qui semble bien anecdotique dans l’absolu, finit par être au centre d’un noeud théologique. Toute une doctrine s’est construite autour de lui. Il est grand temps de remettre les choses en place.

Tout d’abord, nous allons aborder un court passage de l’évangile, mais dont l’importance s’avère disproportionnée. Contextualisons en premier lieu.  Dans les évangiles, le Messie se présente toujours en tant que fils d’Adam. Par contre, un grand nombre de personnes s’adresse à lui en le nommant « fils de David ». C’est d’ailleurs à ce nom qu’il est accueilli dans la cité comme roi et successeur de David, paix sur lui. D’ailleurs, lorsque l’on lit les évangiles, on se rend compte que l’appellation « fils de David » s’apparente, dans la bouche des petites-gens, comme une marque de respect à l’égard d’une personne qu’ils considèrent noble.
Que l’on accepte ou non l’idée de l’existence d’un certain Joseph, qui a pu être une sorte de protecteur pour Marie, paix sur elle, il n’en demeure pas moins que, de toutes les façons, il n’est pas le père biologique du garçon. Que pour simplifier les rapports sociaux, il assume cette fonction est concevable, mais  dans l’absolu ce n’est pas le cas, et le Messie ne peut donc se définir ou être défini par sa filiation paternelle. D’ailleurs le Coran utilise le terme « fils de Marie », ce qui est une façon totalement étrangère à la Bible où les fils sont « fils de ». Ce n’est d’ailleurs que par un bricolage hasardeux autour de la filiation davidique, que les rédacteurs évangéliques parviennent à relier Joseph à David.
En réalité, le Messie n’est PAS fils de David. En effet, que dit le Coran? Le Coran annonce que Jean et Jésus appartiennent à la famille d’Imran. C’est le nom de la 3éme sourate. David est fils de Juda, il n’est donc pas de la même tribu.
Si tous les gens qui reconnaissent les miracles et l’autorité du Messie le nomment « fils de David », ce n’est pas par rapport à ce qu’il dit de lui-même mais uniquement parce que les érudits qui expliquent les écritures au peuple, sont tombé sur le consensus qu’il devait attendre un Messie fils de David. Chacun essaie de faire cadrer la réalité à sa compréhension. En réalité, ceux qui ont arrangé les évangiles s’inscrivent dans l’héritage de ceux qui ont cadré l’eschatologie, plutôt que de s’inscrire dans la vérité. On peut le dire, c’est une trahison en bonne et due forme. Trahison entérinée par l’invention pure et simple de la naissance à Bethléem, puisque on trouve dans les écritures une connexion entre David, paix sur lui, et ce village. Ainsi, nous aboutissons à une histoire absurde, où une femme sur le point d’accoucher, fait 100 kilomètres pour effectuer un recensement. Recensement qui, et tous les historiens sérieux de l’époque s’accordent sur ce point car les sources existent, ne correspond pas au niveau des dates. On ne peut pas faire naître quelqu’un sous Hérode au moment d’un recensement. Au 21ème siècle, cette affirmation ne peut tenir.

Plutôt que l’expliquer directement, il s’emploie à les faire réfléchir et à ce qu’ils comprennent leur erreur. Mais nous allons comprendre qu’il y a un enjeu bien plus considérable qui se joue dans cet échange:

22.41 Comme les pharisiens étaient assemblés, Jésus les interrogea,
22.42 en disant: Que pensez-vous du Christ? De qui est-il fils?
Ils lui répondirent: De David.
22.43 Et Jésus leur dit: Comment donc David, animé par l’Esprit, l’appelle-t-il Seigneur, lorsqu’il dit:
22.44 Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Assieds-toi à ma droite, Jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis ton marchepied?
22.45 Si donc David l’appelle Seigneur, comment est-il son fils?
22.46 Nul ne put lui répondre un mot. Et, depuis ce jour, personne n’osa plus lui proposer des questions.

En Marc, juste après avoir parlé aux sadducéens, nous avons ceci, qui invite à réfléchir sur le mécanisme qui aboutit à cette appellation:

12.35 Jésus, continuant à enseigner dans le temple, dit : Comment les scribes disent-ils que le Christ est fils de David ?

La version de Luc, face aux sadducéens:

20. 41 Jésus leur dit : Comment dit-on que le Christ est fils de David ?

Chaque interlocuteur est différent dans les 3  versions. Le passage est absent de _ean mais est-il encore besoin de s’attarder sur la légitimité de cet écrit? La seule mention du nom de David, se trouve dans une construction théologique  composée d’une phrase placée dans la bouche des « gens de la foule » en 7.42. On ne bâtit pas de la théologie sur des rumeurs.

Ce texte n’est pas un ajout tardif puisque on en trouve une trace dans Hébreux 1

1.13 Et auquel des anges a-t-il jamais dit: Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis ton marchepied?

La remarque que fait le rédacteur de Hébreux suggère que le personnage à qui s’adresse le Créateur étant de rang plus élevé que les anges, il serait de nature divine. Si cela suffira à convaincre un chrétien,  il en ira tout autrement pour un musulman véridique. En effet, tout musulman connait l’histoire fondatrice de l’humanité: le Créateur demande aux anges de se prosterner devant Adam et le Sheytan refuse, arguant qu’il est de rang plus élevé. D’ailleurs, en théologie rabbinique, l’homme est également de rang supérieur aux anges. L’homme possède le libre-arbitre, pas les anges. Il y a fort à parier que ce parti théologique était déjà d’actualité du temps des évangiles. Le rédacteur d’hébreux démontre superbement son ignorance des principes fondateurs de la Torah. Les premiers chapitres s’épanchent longuement sur une prétendue explication argumentée. L’enjeu de l’atteinte à l’Unicité en valait clairement la peine semble-t-il.
Le rédacteur du texte n’est pas celui des Épitres, mais l’un de ses disciples. Il n’est, pour sa part, pas considéré comme pharisien, comme le mythe du maitre nous exhorte de croire concernant ce dernier.  En réalité, tenter de savoir quelle est la vérité derrière le récit ne m’intéresse que très peu. Certes, l’homme est considéré comme un brillant helléniste et utilise la langue et la théologie  considérées comme les plus riches  de ce que l’on nomme le Nouveau Testament. Mais les meilleurs menteurs sont assurément ceux qui ont le plus beau discours.

De même, nous trouvons ceci à la fin d’une longue plaidoirie pour convaincre de nouveaux adeptes, au cours de laquelle est cité Joel pour illustrer le « miracle » des langues de feu. La citation, si elle mentionne le Saint-Esprit qui descend sur les disciples, ainsi que des miracles, n’évoque rien qui va dans le sens des langues de feu. Encore une fois, voilà quelqu’un qui a la capacité de capter les foules par ses boniments. Cela parait peu probable qu’il s’agisse de Pierre. Je vois là, une exagération textuelle d’un miracle dans Actes.

2. 34 Car David n’est point monté au ciel, mais il dit lui-même : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Assieds-toi à ma droite,
35 Jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis ton marchepied.
36 Que toute la maison d’Israël sache donc avec certitude que Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous avez crucifié.

Ici, par contre, il y a une distinction entre le mot Dieu, théos et seigneur, kurios.
Ce qui me parait le plus intéressant dans le cadre de mon propos, c’est la fin du chapitre:

41 Ceux qui acceptèrent sa parole furent baptisés; et, en ce jour-là, le nombre des disciples s’augmenta d’environ trois mille âmes. 42 Ils persévéraient dans l’enseignement des apôtres, dans la communion fraternelle, dans la fraction du pain, et dans les prières.

46 Ils étaient chaque jour tous ensemble assidus au temple, ils rompaient le pain dans les maisons, et prenaient leur nourriture avec joie et simplicité de coeur, 47 louant Dieu, et trouvant grâce auprès de tout le peuple.

Si le rite consistait en le partage du pain ET du vin, le rédacteur en aurait fait mention. Il le répète par deux fois en quelques lignes. En réalité, il ne pouvait pas anticiper les changements de rite qui allait s’opérer quand des théologiens, bien loin de l’euphorie utopique d’une communauté grandissante de jour en jour  décrite dans ce passage, allaient recomposer le mythe. Cette communauté est d’ailleurs pré-chrétienne car aucun décret d’excommunication n’a été proféré à son encontre et ils vont encore au Temple. On imagine bien que tous ces principes autoritaires en gestation de dictature du peuple vont voler en éclat lorsque les premières violences vont éclater en Judée. Et c’est heureux. Cela n’empêchera pas de justifier de la création de communauté plusieurs siècles plus tard, en se basant sur ces récits enjolivés.

Comme vous vous en doutez, nous allons d’abord nous attarder sur ceci que l’on trouve à l’identique dans les 3 versions:

Le Seigneur a dit à mon Seigneur:

Je ne suis pas spécialiste du grec et de ses subtilités. Mais le fait est que ces deux mots sont une variation de la racine Kurios 2962. Le mot peut évoquer la divinité mais aussi une personne de haut rang. Mais au fond, qui cela intéresse-t-il? La traduction, dans la majorité des Bibles, confond les deux mots. Et là, c’est imparable, le Messie serait en train d’avouer sa divinité.
Je crois que de toutes les escroqueries qui jalonnent l’interprétation des évangiles, on touche là au summum. Je vous assure que j’essaie tant bien que mal de conserver mon calme en écrivant ces lignes. Car, je sais ce qu’il y a à venir derrière. Désolé de laisser transparaître mes émotions, mais je bouillonne intérieurement.

Malheureusement pour les rédacteurs des évangiles, ou plutôt pour ceux qui ont cru bon apporter des corrections ultérieures, il se trouve qu’il s’agit d’une citation d’un psaume. Et comme nous avons accès directement au texte en hébreu classique, voici ce que nous trouvons:

110.1 De David. Psaume. Parole de l’Éternel à mon Seigneur: Assieds-toi à ma droite, Jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis ton marchepied.

Remarquez que je suis poli, je n’ai encore touché à rien. C’est un peu mieux, les deux mots sont différents. Mais bon, cela ne suffit pas, on va nous resservir le sempiternel « .ieu le fils ». Une preuve éclatante de la .rinité. La preuve, il y a un S majuscule. Eh ben voyons!
Le mot seigneur est adoni. Le i marque, comme en arabe, la possession à la première personne. De la même manière, le mot peut être utilisé pour une personne de haut rang, sans notion de divinité. Limini est également ma droite. De même oyebeka, tes ennemis, leragleka, ton marchepied. Ka est le possessif à la deuxième personne. Je décompose afin d’être limpide. Les lecteurs arabes seront facilités. Poursuivons le court psaume:

110.2 L’Éternel étendra de Sion le sceptre de ta puissance: Domine au milieu de tes ennemis!
110.3 Ton peuple se montre plein de dévouement au jour où ton armée revêt sa parure sacrée.
Du sein de l’aurore t’arrive la rosée qui vivifie ta jeunesse.

Si ce psaume est cité à ce moment là des évangiles, c’est qu’il y a bien une raison. C’est la dernière parole échangée avec les érudits. Toutes les paroles prononcées par la suite seront réservées aux Apôtres et disciples. Enfin voici le verset 4:

נִשְׁבַּע יְהוָה, וְלֹא יִנָּחֵם– אַתָּה-כֹהֵן לְעוֹלָם;עַל-דִּבְרָתִי, מַלְכִּי-צֶדֶק

nisb’a Yahou welo yinnahem attah kohen le’owlam ‘al dibrati malki tsedeq

110.4 L’Éternel l’a juré, et il ne s’en repentira point: Tu es sacrificateur pour toujours, A la manière de Melchisédek.

La première partie est correcte. On peut conserver sacrificateur mais je préfère le terme Kohen. Ensuite, nous avons ‘al dibrati. dibrati est sur la racine dabar: parole. On peut trouver ce mot ailleurs dans un sens similaire:

Job 5.8 Pour moi, j’aurais recours à Dieu, Et c’est à Dieu que j’exposerais ma cause (dibrati).

Où le i indique la possession. Je traduirais plutôt par « sur/selon ma Parole ». Suivent non pas un mais deux mots. Malki et tsedeq. Tsedeq signifie le véridique ou le juste. En arabe on dira siddiq. Le Tsade est l’équivalent du Sad.
Malki signifie ‘mon roi’. Le Créateur serait-il en train de considérer une créature comme son maître ou possesseur?
Impossible. Autant concernant David, paix sur lui, on peut se poser la question, autant là c’est impossible. Affirmer le contraire, c’est juste nier la réalité.
Voici la traduction correcte:

110.1 De David. Psaume.
Parole de l’Éternel à mon seigneur:
Reste à ma droite, Jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis ton marchepied.
110.2 L’Éternel étendra de Sion le sceptre de ta puissance: Domine au milieu de tes ennemis!
110.3 Ton peuple se montre plein de dévouement au jour où ton armée revêt sa parure sacrée. Du sein de l’aurore t’arrive la rosée qui vivifie ta jeunesse.
110.4 L’Éternel l’a juré, et il ne s’en repentira point: Tu es Cohen pour toujours, selon ma Parole,  mon roi juste.
110.5 Mon seigneur, à ta droite, brise des rois au jour de sa colère.
110.6 Parmi les peuples il exerce la justice, accumule les cadavres; sur une étendue immense il fracasse des têtes.
110.7 Il boira sur la route de l’eau du torrent: aussi portera-t-il haut la tête.

Reste à ma droite plutôt que assieds-toi, car le verbe asseoir implique une notion d’égalité vis-à-vis du trône. Le verbe yasab autorise cette variation. Il ne permet pas de conclure théologiquement quant à une égalité de rang divin.
Ce qui signifie que le Créateur confère une autorité permanente au Messie sur sa Parole révélée. Il défend Sa cause, pour reprendre l’expression en Job. Ce psaume, cité en conclusion de l’échange avec ceux qui ont autorité sur les écritures, vient entériner leur illégitimité.

En conclusion de cet article, nous pouvons donc affirmer qu’il n’y a  pas d’ordre sacerdotal de consommation conjuguée de pain et de vin. Ce n’est qu’une coutume de politesse du personnage de Genèse à l’égard d’Abraham, paix sur lui. Le récit mentionne qu’il est Cohen, mais pas qu’il est en train d’effectuer un rite. Les personnages sont en train de parlementer pour trouver une issue à la guerre qu’ils viennent de mener.

Cette dernière taquinerie dans les évangiles est en réalité là pour confondre les coupables.

Je pensais terminer ici cet article. Mais vous savez comment sont les pelotes de laines totalement emmêlées: parfois un grand nombre de noeuds se défont au même moment sans crier gare. En parcourant les textes, je suis tombé sur quelque chose qui m’a attiré l’oeil. C’est à dire qu’à vouloir trop en faire et à utiliser les textes pour leur faire dire ce que l’on a envie, on se heurte parfois au fait qu’ils révèlent des choses que l’on aimerait tenir caché. L’auteur des Épitres va donc citer la parole de David, paix sur lui, dans un autre écrit: Romains 11.9. Il s’agit du psaume 69.
Remarquez bien que pour servir un propos orienté, il est de coutume de décontextualiser un verset. Je vous invite donc à lire le psaume 69 en entier. Cela décrit la souffrance d’un serviteur d’Allah.
Le hic, c’est que dans la perspective où Jésus était pur et sans péché dès le berceau, et la tradition islamique va aussi en ce sens, le psaume ne peut pas fonctionner dans la théologie des épîtres. Car voici ce qui est dit:

O Dieu ! tu connais ma folie, Et mes fautes ne te sont point cachées.7 Que ceux qui espèrent en toi ne soient pas confus à cause de moi, Seigneur, Éternel des armées ! Que ceux qui te cherchent ne soient pas dans la honte à cause de moi, Dieu d’Israël !

Ce passage tendrait à appartenir assurément plus à notre actualité. Quant à celui-ci, il parle de lui-même:

23 Que la table dressée devant eux leur devienne un piège, qu’elle soit un traquenard pour ces gens paisibles! 

24 Que leurs yeux s’obscurcissent et ne voient plus, Et fais continuellement chanceler leurs reins!
25 Répands sur eux ta colère, Et que ton ardente fureur les atteigne !
26 Que leur demeure soit dévastée, Qu’il n’y ait plus d’habitants dans leurs tentes !
27 Car ils persécutent celui que tu frappes, Ils racontent les souffrances de ceux que tu blesses.
28 Ajoute des iniquités à leurs iniquités, Et qu’ils n’aient point part à ta miséricorde ! 

29 Qu’ils soient effacés du livre de vie,
Et qu’ils ne soient point inscrits avec les justes !