samedi 27 avril 2024

‘Uzayr

Prérequis:

Netivot Olam

Décembre 2019. Alors que je me penchais sur les travaux théologiques d’une petite communauté de juifs messianiques,  la flamme d’une bougie me renvoya au verset (lire l’article au-dessus):

9.30 Les Juifs disent: « ‘Uzayr est fils d’Allah » et les Chrétiens disent: « Le Christ est fils d’Allah. » Telle est leur parole provenant de leurs bouches. Ils imitent le dire des mécréants avant eux. Qu’Allah les combatte! Comment sont-ils trompés?

A ce moment là, seule la partie concernant les chrétiens me fut utile pour poursuivre mon raisonnement. ‘Uzayr demeurait donc un mystère. En effet, ce verset me questionnait depuis bien longtemps. L’exégèse classique affirme que le personnage dont il est question serait Ézéchiel. Cette affirmation n’intéresse que très peu les musulmans puisque ceux-ci se contentent de répéter de temps à autre ce verset pour dénoncer les égarement des deux autres communautés. Répéter la Parole peut sembler bénéfique pour un croyant. Malheureusement dans ce cas précis, répéter ce verset sans le comprendre parait contre-productif. En effet, les juifs ne sont pas connus pour appeler qui que ce soit du titre de « fils de Dieu » et Ézéchiel n’a pas de statut particulier aux yeux des rabbins.

Dernièrement, en lisant une nouvelle fois ce verset, la question de l’identité de ‘Uzayr me revint en tête. Je me penchais alors sur le prophète Esdras ( עזרא, ‘Ezra ), paix sur lui. L’orthographe est parfaite, la transposition en arabe est identique par la racine. Esdras est un personnage clef de l’histoire des fils d’Israel. Il guide le peuple dans son retour en Terre Promise, à la manière d’un nouveau Moise, paix sur lui. A la fois guide et prêtre, il peut être désigné comme oint du Seigneur, soit Messie. Si cela peut expliquer une connexion entre les deux hommes, cela n’explique pas pourquoi un groupe aurait pu dire de lui qu’il est « fils (unique) de Dieu ».
Comprenant que la recherche mène à une impasse, je décide de solliciter la base de données du chat D’IA. Je lui demande le sens de la racine Ayn Zayn, Ra. Voici sa réponse:

La racine arabe « ع ز ر » (Ayn, Zayn, Ra) peut être associée à plusieurs mots et concepts, car la signification précise d’une racine dépend des voyelles et des préfixes ou suffixes qui y sont ajoutés pour former des mots spécifiques. Néanmoins, voici quelques mots liés à cette racine :

  1. عزر (Izar) : Ce mot peut signifier la ceinture, et il est utilisé dans des contextes variés.
  2. عازر (Aazir) : Ce nom propre est associé à .azare dans certaines traditions chrétiennes, en particulier dans le récit biblique de la résurrection de .azare.
  3. عزارة (Izara) : Cela peut se référer à la vigne ou à une plantation de vignes.

Nous savons tous que le Chat ne cite jamais ses sources et commet des erreurs. Une rapide recherche sur le net nous renvoie à un historien musulman de référence du 12ème siècle: Ibn al-At̲h̲īr. Dans son oeuvre, il aurait traité du sujet de .azare en utilisant une variante de son nom: ‘Aazir. Nous retrouvons là une nouvelle fois la racine qui nous préoccupe.
En hébreu, le nom El’azar peut se décomposer en deux. La première partie est El qui signifie Dieu, de la même manière que dans Israël. ‘azar signifie aider. Le nom complet: Dieu a aidé. Transposé en arabe sous la forme ‘Aazir, le préfixe indiquant la divinité est tombé. Dans des articles précédents, nous avons vu que Moise et Aaron, paix sur eux, étaient des formes réduites des noms originaux. L’absence du nom de la divinité s’expliquait par le fait qu’il s’agit de divinités polythéistes. Ici, ce n’est à priori pas le cas. Peut être faut-il déceler ici la volonté coranique de détacher le personnage du Dieu unique. La suite de cet article confirmera ou infirmera cette supposition. Il est à noter que j’ai pris moi-même pour habitude de tronquer le début des noms des personnages que je considère comme maudits. Le nom .azare apparait ainsi dans les anciens articles. Il est fort possible que le Coran applique le même principe et qu’une partie du nom devait apparaître en clair (ce n’est pas le cas du Pharaon de l’Exode) tout de même afin d’être un indice clair pouvant mener à la compréhension effectuée dans cet article.

Ceinture

Le premier sens donné à la racine par le Chat la rattache au mot ceinture. Cela nous renvoie à un passage curieux dont le sens théologique n’a pas été dévoilé. Après avoir demandé à Simon, surnommé Pierre car premier des disciples, si il l’aimait par trois fois (probable évocation du bien-aimé), voici ce qui est dit:

Je 21.18
En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais plus jeune, tu te ceignais toi-même, et tu allais où tu voulais; mais quand tu seras vieux, tu étendras tes mains, et un autre te ceindra, et te mènera où tu ne voudras pas.

Il semblerait que l’autre personne dont il est question, et qui n’est jamais évoquée dans la théologie chrétienne classique, est sur le point de prendre la direction spirituelle de Pierre après le départ du Messie, malgré ses convictions initiales. Ce qu’il faut comprendre c’est qu’il s’agit de légitimer de nouveaux enseignements à venir. Probablement ceux contenus dans l’Apocalypse du corpus chrétien. Pour identifier la personne de façon sure, il est évoqué l’action de ceindre. Il pourrait ainsi s’agir d’un jeu de mot avec l’un des sens de la racine Ayn Zayn Ra, qui serait similaire à l’hébreu ou l’araméen: la ceinture.

Remarque:

Le sens 3 de la racine renvoie à la vigne. Cette connexion entre ‘Uzayr et la vigne peut expliquer l’absence de la parabole des vignerons dans l’évangile johannique. Cette parabole est pourtant essentielle puisqu’elle est au centre du basculement qui va mener à la condamnation du Messie par le Sanhédrin qui a compris qu’elle constituait une déclaration de guerre en bonne et due forme. Des vignerons ou du Messie, un seul camp peut subsister. Les auteurs de l’évangile ne pouvant ignorer ce point central et très au fait des différentes langues sémitiques, ont choisi délibérément de l’escamoter. En lieu et place, voici ce que nous trouvons, encore une fois dans ce chapitre central qu’est le 11:

11.47 Alors les principaux sacrificateurs et les pharisiens assemblèrent le sanhédrin, et dirent: Que ferons-nous? Car cet homme fait beaucoup de miracles.
11.48 Si nous le laissons faire, tous croiront en lui, et les Romains viendront détruire et notre ville et notre nation.
11.49 L’un d’eux, Caïphe, qui était souverain sacrificateur cette année-là, leur dit: Vous n’y entendez rien;
11.50 vous ne réfléchissez pas qu’il est dans votre intérêt qu’un seul homme meure pour le peuple, et que la nation entière ne périsse pas.
11.51 Or, il ne dit pas cela de lui-même; mais étant souverain sacrificateur cette année-là, il prophétisa que Jésus devait mourir pour la nation.
11.52 Et ce n’était pas pour la nation seulement; c’était aussi afin de réunir en un seul corps les enfants de Dieu dispersés.
11.53 Dès ce jour, ils résolurent de le faire mourir.

Sachant que seul le Sanhédrin avait la capacité d’obtenir l’exécution de la part des romains, et l’évangile ne pouvait pas modifier cela, sa résolution définitive sur le sujet est évoqué dans le chapitre 11. Cela renforce son importance. Les auteurs substituent à la délégitimation du Sanhédrin, la résurrection de _azare comme raison principale invoquée. Chapitre suivant, l’affaire est entendue:

12.23 Jésus leur répondit: L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié.

Monogenes

https://www.stephanpain.com/2023/04/06/cinq-gens-du-doigt/
https://www.stephanpain.com/2023/05/18/pessah-seni/
Dans ces deux articles, le personnage de .azare apparaît en place centrale dans une certaine interprétation des écritures. Le premier traite spécifiquement du terme « monogenes » propre à l’évangile johannique. Ce terme se retrouve également dans « les antiquités judaïques ».
Monogenes est à l’origine d’un concept typiquement chrétien: le fils unique de Dieu. Pourtant, le verset 9.30 oppose les Yahood et les Nasara. Tout d’abord, nous devons admettre que ce verset n’englobe pas l’entièreté de communautés. Il s’agit de deux groupes. Si nous prenons comme hypothèse que ‘Uzayr est bel et bien .azare, alors il s’agit du groupe constitué par les disciples de la communauté johannique. Si cette communauté a fait de .azare son personnage principal, elle s’oppose donc à celle qui a fait du Messie le sien. Nous retrouvons notre fameuse opposition entre pauliniens et johanniques. Cette opposition est occulte puisque réservée aux initiés. La partie émergée expose une opposition dans le rapport à la Loi. Les pauliniens abandonnent la Loi, tandis que les johanniques lui sont fidèles (même si ils la revisitent, entendons-nous bien). Si bien que le verset 9.30, s’il renvoie effectivement Nasara à chrétiens, et c’est le groupe qui s’est apparemment imposé aux yeux de l’histoire, il renvoie Yahood aux johanniques. Ce que nous pouvons alors en déduire alors, c’est que du fait qu’ils sont resté dans la Loi, les johanniques sont, coraniquement parlant, toujours considérés comme des Yahood ( sous-groupe des fils d’Israël). La présence importante des écrits johannique dans le corpus chrétien témoigne de l’emprise de cette secte sur l’Eglise. Si elle s’efface de l’histoire, c’est certainement parce qu’elle s’est trouvé un mode d’existence discret, mais néanmoins efficace.

Presque 4 ans plus tard, nous pouvons donc comprendre la raison profonde de la connexion entre le verset 9.30 et Netivot olam: ce groupe est, du point de vue coranique, un groupe qui appartient à la communauté juive.

Il sera donc jugé en tant que tel.

 

Notes:

Saint Lazarus in Islam