Les faux-cils et le marteau

Il était une fois un roi qui, revenant après un très long voyage, décida de visiter ses sujets incognito. Habitué à suivre son propre itinéraire, il décida, une fois n’est pas coutume, de suivre un chemin tracé dans le pays au cours des siècles en mémoire d’un ancien compagnon de route et frère de sang. Comme toute personne qui arpente ce chemin, il lui advint plusieurs choses, mais quatre moments lui semblèrent dignes d’être rapportés à qui voulait bien l’entendre. Les trois premiers sur une première partie du chemin et le dernier lors d’une assemblée qui s’est tenu juste avant qu’il n’entame une deuxième partie alternative du chemin.

4 récits de chemin

Dans un village sur le chemin, le roi participa à une célébration de ses sujets. Dès les premières minutes, une femme âgée fit un malaise. Les secours arrivèrent rapidement et restèrent jusqu’à la fin de l’office. Le roi ressentit un vide spirituel durant ce moment mais il choisit de l’ignorer. Il sort de l’édifice et après avoir mangé et prié, il reprit le chemin sous la chaleur accablante. Il s’aperçut, plusieurs heures plus tard, qu’il s’était égaré: il avait suivi un itinéraire balisé de la même manière menant vers un lieu d’apparition de la Dame dans les Pyrénées. Il changea de direction afin de revenir sur le tracé. Sans autre choix que de marcher des heures  avec le soleil écrasant face à lui sans aucune ombre sur une petite route de campagne jusqu’à la tombée de la nuit. Le vide intérieur l’accompagna encore dans toutes les prières de cette parenthèse. Alors que l’aube du lendemain approchait, après une courte nuit au bord de la route, il reprit sa marche. Le voici enfin au dernier croisement. C’est alors qu’il aperçut des lueurs d’ambulances qui déchiraient  la nuit à une vingtaine de mètres de l’embranchement. Il s’engagea de nouveau dans le chemin.  Quelques minutes plus tard les secours le dépassaient. Il comprit bien toute l’importance du moment sans toutefois en saisir le sens.

La fin de son chemin approchait.  Le roi se rendit à la célébration, au coeur de l’été, en mémoire de l’élévation de la Dame. En attendant le début du service, il se mit en devoir de poser des adhésifs réfléchissants sur ses bâtons de marche afin d’être plus visible  la nuit en cette période de canicule. Alors que la cérémonie commence, il est submergé d’émotion: toute cette marche pour arriver dans cet endroit. Il contemple alors les bâtons et réalise ce qu’il vient de faire: le feu tombe sur la terre à chaque pas. Puis le Feu tombe sur l’assemblée. Au moment de saluer pour quitter la salle, il chancelle, conscient que le rideau va retomber sur la scène principale de ce mois de marche.

Dans une forêt, le lacet du roi se défit, l’obligeant à s’arrêter au milieu des bois. La femme qui marchait depuis quelques minutes avec lui s’arrêta aussi et, tandis qu’il se penchait vers la terre, elle poussa un cri de surprise: là, gravée sur le tronc d’un arbre perdu au milieu de nulle part, se lisait une inscription évoquant une apparition de la Dame dans les Alpes. Enthousiaste, elle s’exprima avec ferveur. Puis ils reprirent leur route et parvinrent à une petite aire de repos tenue par un producteur local. La conversation s’engagea entre la femme et lui, tandis que le roi écoutait en retrait. Après quelques minutes, ils se reconnurent comme frères d’une même fraternité étrangère à celle du roi. Il fut surpris car habituellement ces frères cultivent le secret.

Quelques jours après son périple, il fut convié à une assemblée de ses sujets. Il décida de profiter de l’occasion pour prolonger son chemin dans une deuxième partie alternative qui devait le mener à un sanctuaire accroché à un rocher. Une femme fit une annonce pour retrouver un morceau de pendentif: une tenaille sur une croix. Intrigué, le roi la questionna. La femme lui raconta l’histoire de l’apparition dans les Alpes et de la croix arborée par la Dame des apparitions, sur laquelle figuraient un marteau et une tenaille. Le roi ne put s’empêcher d’évoquer une symbolique de confrérie n’appartenant pas aux gens de son livre.

De récit de guérison à parabole

Après avoir médité de long jours sur toutes ces histoires, le roi se remémora alors un récit ancien que ses sujets ont conservé pour construire son histoire.  En établissant le lien avec ses récits de chemin, il comprit qu’il ne s’agit pas seulement d’un récit d’enseignement, d’explication de sa mission ou de guérison mais qu’il cache une parabole. La voici:

15.21 Jésus, étant parti de là, se retira dans le territoire de Tyr et de Sidon.
15.22 Et voici, une femme cananéenne, [qui venait de ces contrées], lui cria: Aie pitié de moi, Seigneur, Fils de David! Ma fille est cruellement tourmentée par le démon.
15.23 Il ne lui répondit pas un mot, et ses disciples s’approchèrent, et lui dirent avec insistance: Renvoie-la, car elle crie derrière nous.
15.24 Il répondit: Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël.
15.25 Mais elle vint se prosterner devant lui, disant: Seigneur, secours-moi!
15.26 Il répondit: Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants, et de le jeter aux petits chiens.
15.27 Oui, Seigneur, dit-elle, mais les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres.
15.28 Alors Jésus lui dit: Femme, ta foi est grande; qu’il te soit fait comme tu veux. Et, à l’heure même, sa fille fut guérie.
15.29 Jésus quitta ces lieux, et vint près de la mer de Galilée. Étant monté sur la montagne, il s’y assit.

Il décida alors de prendre la parole et de donner les clefs de compréhension de la parabole.

  • Tyr et Sidon symbolisent un territoire qui est hors de l’Alliance de la Torah: ce sont les Nations. C’est l’unique récit en ce lieu.
  • La femme cananéenne symbolise la Vierge Marie.
  • Sa fille symbolise la communauté chrétienne.
  • Les miettes de la table sont le pain et le vin de l’Eucharistie.
  • Le Messie représente Dieu, mais ne prend pas sa place bien évidemment.
  • Les disciples représentent les anges: Marie peut s’adresser à eux puisqu’elle est au ciel, mais ils demeurent impuissants.

Ainsi le Créateur, en faisant vivre à son Messie ce récit curieux qui sort totalement du cadre du reste de son ministère, générait une parabole destinée à mettre en garde contre la tentation de vouloir s’élever par soi-même en obéissant aux prescriptions  (en utilisant les outils rituels décrits) et en croyant au retour d’entre les morts de sa propre mère la Vierge Marie au travers de prétendues apparitions. Cette dernière n’a pour seul autre interlocuteur que le Créateur lui-même et intercède pour la communauté sous sa garde, sans rien faire d’autre. Tout ce qui est en dehors n’est pas de Dieu, mais du démon. La guérison de la communauté repose uniquement dans les mains du Tout-Puissant.

On cite souvent l’adage selon lequel les temps difficiles créent des hommes forts, et les temps de paix engendrent des hommes faibles. Mais forts et faibles coexistent toujours. Les forts sont ceux qui possèdent la clairvoyance analytique pour comprendre les dynamiques du présent et le courage de s’opposer au pouvoir détenu par les faibles, établi sur les schémas pour contrer la dérive extrême précédente et impulser un mouvement inverse à partir de l’état de déséquilibre extrême où ils se situent. Cependant, effectivement, l’état d’équilibre n’est jamais stationnaire.

Que la paix soit sur vous.