Dodeka

L’étude entamée le 26/12/25 prend trop de place dans l’article Pierre & le loup. Pour des questions de lisibilité, me voilà contraint de créer un nouvel article.

Triangulation

Étudions l’introduction du texte du cantique plus en détail.

1.2 Qu’il me baise des baisers de sa bouche! Car ton amour vaut mieux que le vin,
1.3 Tes parfums ont une odeur suave; Ton nom est un parfum qui se répand; C’est pourquoi les jeunes filles t’aiment.

Les deux premiers mots sont une emphase sémitique sur la racine NSQ. Le sens est variable mais il est ici verrouillé par la bouche et indique donc bien un baiser. Le baiser est une pratique biblique normale qui peut s’investir de différentes fonctions sacrales. Maintenant tout dépend du contexte, c’est ce que nous allons voir par la suite. Ce qui est traduit ici par parfums est parfois traduit ailleurs par huiles. Il s’agit de shemen, plus souvent utilisé pour décrire un produit utilisé pour l’onction. Si il est donné un sens de parfum, c’est parce que la phrase est introduite par lereah, évoquant la senteur. Mais la racine RYH vient de RWH, et nous reconnaissons le champ lexical de l’Esprit. Et là, le verset prend un tout autre sens. Reah peut être utilisé pour décrire l’odeur d’un sacrifice qui plait à Dieu. Ici, ce serait donc une onction dont l’odeur plairait à Dieu. Cela pourrait bien être l’origine de l’établissement scripturaire de la contre-eucharistie. Poursuivons. Le verset se termine sur ‘almot, ici traduit par jeunes filles, mais qui dans Esaie 7.14 est traduit par vierge. Un esprit aiguisé peut alors se remémorer la parabole des 10 vierges. Les sages ont gardé de l’huile, les folles ont oublié. Gardons cette information pour plus tard. A présent, étudions la structure du passage. Il se trouve que se produit un curieux changement de possessif. Nous commençons par sa, causalité, puis ton, tes, ton, causalité, elles, toi. Pour résoudre cette problématique, nous allons nous aider d’un texte beaucoup plus récent celui-là, visible ici:
https://www.stephanpain.com/2020/01/26/loutil-gama/

Parabol/Parabola
In this holy reality, in this holy experience Choosing to be here in…
This body, this body holding me Be my reminder here that I am not alone in…
This body, this body holding me, feeling eternal
All this pain is an illusion
Dans cette sainte réalité, dans cette sainte expérience Choisir d’être ici dans …
Ce corps, ce corps me tenant Sois mon rappel ici que je ne suis pas seul dans …
Ce corps, ce corps me tenant, se sentant éternel
Toute cette douleur est une illusion

La dissociation traumatique est ici exposé de manière cryptée. L’anglais permet la possibilité de terminer sur le « in ». En français, cela ne fonctionne pas: le lecteur poursuit la phrase à la ligne suivante et comprend que le narrateur n’est pas seul dans son corps. Corps dont d’ailleurs il parle de manière détaché. Ce passage est intéressant à plus d’un titre puisqu’il vient mêler la perception de la réalité,  la sacralité, les expériences mystiques, la dissociation, l’éternité, la douleur et l’illusion. A la façon de le chanter, avec une pause après les ‘in’,  l’auditeur doit détacher les lignes. Sois mon rappel ici que je ne suis pas seul dans ce corps. est le véritable message. Et si quelqu’un devait s’en inquiéter, on pourra toujours invoquer l’art. Cette technique de découpe peut s’appliquer à l’introduction du cantique. Voici donc la découpe:

Qu’il me baise des baisers de sa bouche! | Car meilleur ton amour que le vin,  | A la senteur (sont) tes onctions bonnes; Ton onction se répand en ton nom; |  C’est pourquoi les vierges t’aiment.

Il y a ici 3 groupes. Le premier est composé du narrateur et d’un « il ». Le deuxième est « tu ». Le dernier d’un groupe de vierges. Pour s’en assurer, il suffit de prolonger la lecture. Voici la suite, découpée de la même manière:

Entraîne-moi | après toi | Nous courrons | | Le roi m’introduit dans ses appartements. Nous nous égaierons, nous nous réjouirons à cause de toi; Nous célébrerons/remémorons ton amour plus que le vin. | Justement, ils t’aiment.

Je traduirais par « Fais-moi venir ». Le texte hébreu place une virgule après ce premier mot. Ainsi le « après toi » peut être accolé au « nous courrons » (qui doit être surement pris au figuré). Cela change le sens de ce « nous ». Le nous n’est plus « je +toi », mais « je+roi », puisque le roi suit immédiatement et est le sujet d’une action de déplacement avec « je ». Une structure triangulaire fluctuante apparait. Idem pour la suite, structurée identiquement aux premiers versets. Roi+je, nous, bascule, ils. Ici le féminin pluriel final a laissé place à un masculin plus générique. Nous célébrerons/remémorons ton amour plus que le vin. établit donc une séparation entre la foule et le groupe restreint roi+je. Seulement voilà, si j’ai recopié ce morceau tel quel, je ne suis pas pour autant en accord avec sa traduction. La comparaison est forcée ici car le traducteur est influencé par la comparaison du premier verset qui utilise également le bloc « dodeka miyayin » = « tes amours/aimés depuis le vin ». La causalité du « ki » est reprise par le « al ken » dans les deux premiers versets. On peut réperer une reprise similaire et établir un lien entre le « après toi » et le « min ». Il ne s’agit donc plus d’une comparaison, mais d’une situation. Nous pouvons alors traduire ainsi:

Nous remémorons tes aimés depuis le vin.

Si nous étions dans une vidéo, ce serait le moment propice d’introduire un effet sonore de choc, il me semble. Ce qui ressemble à la définition de la deuxième partie de l’eucharistie instituée. Troublant à plus d’un titre, si nous ne restons pas concentré sur le fait que nous analyson un texte anti-prophétique. Dans les articles sur Pessa’h, nous avons abordé la question de l’eucharistie en tant qu’accomplissement de Pessa’h, et nous en étions arrivé à la conclusion que la consommation de vin comme procédé de souvenir ne pouvait constituer cet accomplissement. Et si l’on rattache cette partie au « ils » suivant, le « nous », englobe alors le « roi+je+ils » plutôt que le simple « roi+je ». Cette commémoration englobe donc tout le monde à la différence de l’onction au parfum décrite juste au dessus. Tout cela nous permet d’établir une connexion directe et anti-scripturaire entre la pseudo-cène de l’onction au parfum et la contre-eucharistie instituée en tant que rite communautaire. La connexion entre la Cène de la fraction du pain et l’eucharistie est quant à elle dans le texte même de l’évangile. On peut alors se demander si les textes n’ont pas été modifiés pour y inclure le vin. Mais comme nous l’avons vu dans les études précédentes, le vin est bien présent à la Cène, mais non consommé. C’est un rite d’aspersion analogue au rite lévitique du sang sur l’autel. Le glissement entre l’eucharistie et la contre-eucharistie se fait uniquement sur la subtilité de cette destination du vin. Dans les faits, l’assemblée ne consomme pas le vin, elle prend seulement l’ostie. Mais ce n’est pas fini, loin de là. Car si on lit bien le texte, nous constatons qu’il y a une distinction nette entre les termes dod et mahmad. Dod fait référence à une personne et mahmad à un objet de désir. Or, dans ce passage, nous avons le terme dodeka, qui est traduit par « tes amours », donc fait référence à un objet. Mais si nous personnifions dodeka, alors il signifie « tes bien-aimés ». Nous comprenons alors qu’il est fait référence à un groupe restreint constitué du roi et de la reine, et par extension, tous ceux qui sont leurs égaux spirituels. La contre-eucharistie à partir du vin n’a donc pas la fonction de commémoration de l’envoyé de Dieu, mais des bien-aimés. La caste a réussi à introduire dans le rite sa propre glorification par l’assemblée.

Détail amusant, il y a un jeu de mot qui n’a pu échapper à ceux qui se sont investi de ce cantique pour en faire un document eschatologique. C’est la raison du titre de cet article. Dodeka en hébreu est le pluriel de dod avec le possessif « tes ». Nous le traduisons littéralement par « tes aimés ». Ici, bien-aimés suivant le terme adopté par le contre-évangile. Mais dodeka, phonétiquement est aussi du grec, langue courante de ce groupe, et signifie 12. Donc Dodeka= tes bien-aimés(la caste royale)/les Apôtres. Chacun appréciera.