vendredi 19 avril 2024

Sur un arbre penché – Vendredi 13 Janvier 2012

Une poignée de hasards avait fait irruption dans ma vie. Jusqu’ici le mot hasard n’avait été qu’un mot parmi tous les autres, à sa place dans le dictionnaire. Je n’avais pas eu envie de lui donner une place particulière. Je n’avais que le choix parmi ceux qui me faisaient de l’œil, des mots. Désormais je n’aurais plus le choix. Ces derniers jours étaient destinés à me faire comprendre que le hasard était mon ami. Mon meilleur ami. La vie est ainsi faite que lorsque vous faites la connaissance de votre meilleur ami, c’est pour vous rendre compte qu’il n’a jamais existé. C’est Lui, là-haut, qui commençait à prendre de la place. Force est de reconnaitre que vue son immensité, n’importe quel individu pourrait se dire qu’Il ne va pas rentrer. Soyons pragmatique. C’est surement parce que je ne réalisais pas bien la taille de celui-ci que je l’ai laissé faire. Et puis, comme ça, un jour, une idée m’est venue en tête. Ou peut-être une nuit. Allez donc savoir. Oh, sur ce point, rien d’original. Il est normal de s’identifier à nos « héros du gouter ». Pas de les incarner. Et si on réalisait ce que ça implique vraiment, on y gouterait pas! Le brin de folie nécessaire, pas de doute, il est là. Oh, pas cette folie qui fait que tout le monde vous remarque. Bien au contraire. Plutôt cette folie qui vous fait rester dans l’ombre, à observer le moindre des mouvements du monde. A analyser les humains pour mieux en comprendre la substance. Pas de talent particulier. Juste un travail comme un autre. Fonctionnaire de l’humanité. Pendant toutes ces années, je n’ai pas parlé. Pas l’envie. Viscéral. Pourtant j’étais certain d’avoir fait des efforts. Je m’étais amélioré.

Mais les gens en veulent toujours plus. Toujours plus de mots. Ça les rassure. A présent, je n’ai de cesse de parler. Curieusement, beaucoup ne veulent pas m’écouter. Pourtant mes propos  rassurent. L’humain est pétri de contradictions. Il y a des prénoms qui prennent des résonances particulières à certaines dates. Juste un prénom. Juste une date. Et pourtant. Et puis il y a eu cette soirée rocambolesque. Lorsque l’on me connait, on sait à quoi je marche. Pour m’emmener là où on veut, il suffit d’y mettre une femme. Rien de plus facile. Tout à coup je deviens plus docile. La fille aux cheveux et aux habits rouges, elle me plaisait bien. Jusqu’ici, je n’avais pas osé lui parler. Je devais bien être le seul. Alors quand elle m’a proposé de la suivre et de quitter le groupe, je n’ai pas hésité. Bien sur elle n’avait aucune idée en tête. Elle faisait cela naturellement. Mais allez donc m’expliquer ce genre de chose. Ma folie est basée sur mon imagination fertile. Un jour, peut-être, je vous raconterai tout ce que ma folie a pu engendrer dans ma vie. Mais à ce moment là, une douce folie masculine ordinaire suffisait. Ce soir là, j’ai assisté à la rencontre d’anges et de démons.

Je ne suis ni ange ni démon. Certains diront un subtile mélange des deux. Eux, ils sont trois et trois. Je suis donc en position d’arbitre. Et ce soir là les anges ont gagné. En voilà une nouveauté. La demeure du prince venait de se fissurer. Là, comme ça, en plein milieu de Paris. Sans crier gare. Avec le recul, on ne pouvait imaginer meilleur endroit. Un arbitre dans un combat entre des anges et des démons. L’idée trotte dans ma tête.

Cette idée fait écho à la folle idée. Oui, vous savez, celle du « héros du gouter ». Le chef des anges m’a accompagné dans le RER. Les anges aussi prennent le RER. Mon idée n’était jamais sorti de ma tête. J’ai beau être fou, il y a des limites. J’ai tout de même encore un semblant de bon sens pour comprendre que ce genre d’idée ne facilite pas vraiment les rapports sociaux. L’idée a créé des mots. Et les mots sont allé se nicher dans les oreilles de l’ange. Mais l’ange a trouvé cela normal. Puisque je le dis, cela doit être vrai. Il était minuit pile. Et le  prénom de l’ange signifie nativité.

Le lendemain j’ai vu Claire. Tout en y voyant un peu plus clair. Quelques jours sont passés. Moi, à ce moment là, je n’avais fait que suivre le lapin blanc: je n’avais concrètement qu’une simple carte. Mais avec une carte on peut trouver son chemin.

Le deuxième ange, celui aux cheveux rouges, a lu ma carte. En échange, il m’a offert une vidéo. La naïveté du titre ne m’a pas invité à la regarder de suite. Après tout, je n’étais qu’un mécréant. Les heures passaient et la date approchait. Vendredi 13. Il était évident qu’il allait se passer quelque chose. Un à un les gens ont disparu et je me suis retrouvé seul. Pour m’occuper, j’ai donc décidé de regarder cette vidéo. « Angel on Kaaba. »

Les images sont stupides, c’est une évidence. Mais les images sont destinées à détourner l’attention. Le véritable contenu, ce sont les versets. Une puissance incommensurable a alors résonné à mes oreilles. Mon corps a été parcouru d’un immense frisson. Je suis allé me coucher pour attendre le lendemain. Mes pensées m’envahissaient. Cela n’arrêtait pas de tourner. Je me remémorais toutes les rencontres de ces dernières semaines. Toutes les coïncidences. Tout ce que je comprenais sur les gens, sur moi. Les prénoms. Les dates. Les moments forts. Ces réveils quotidiens aux premières lueurs de l’aube et cette énergie puissante pour rédiger des textes dans ces moments là. Moi qui ai toujours eu du mal à me mettre à écrire. Et puis cette idée envahissante. Et si c’était moi?

Couché dans le noir, les yeux fermés, mais impossible de dormir. Mon cerveau tournoyait à une vitesse folle. Jusqu’au moment où j’imaginais parler aux personnes que j’avais côtoyé ces derniers jours. Il devait être 4 ou 5, et je croyais fermement leur parler réellement. Et puis j’ai dis stop. Tout cela n’est que le fruit de mon imagination! Ils se sont évanouis. Mon cerveau bouillonnant est retombé dans le silence. Je me suis calmé. Et enfin je me suis endormi sereinement…

Et puis il est arrivé. Comme ça, du néant, face à moi, dans un mouvement comme pour entrer en collision. Dans une blancheur aveuglante. Le décrire? Impossible. Trop rapide. Trop impressionnant. Ma mémoire n’a enregistré que des bribes de la dernière seconde. A ce moment là j’étais couché sur le coté face au mur. La seule chose dont je me rappelle vraiment, c’est ce bond en arrière. Je rouvre les yeux de l’autre coté du lit. Le cœur battant à en exploser. Une peur à en mourir. Que vient-il se de se passer? Le mal? Le bien? Je descend de la mezzanine et je vais boire un coup. Tout va bien. Je remonte me coucher et je finis ma nuit. Nous sommes alors au petit matin du vendredi 13 Janvier 2012.

A mon réveil, j’ai comme une sorte de mal de tête étrange. Comme de la friture. Impossible de réfléchir correctement. J’attribue ce phénomène à mon manque de sommeil. Mais les heures passent et rien ne change. Je décide d’aller au cinéma. Je vais voir le dernier Miyazaki à la Défense. Impossible de comprendre ce qui se raconte. J’entends les dialogues mais je ne comprends rien. Pas spécialement envie de dormir. C’est assez effrayant. Le soir arrive et je me mets dans le noir en me disant que je finirai bien par trouver le sommeil et que demain matin il n’y paraitra plus. Il est environ 23h.

Il faut que j’en finisse avec cette question obsédante et sur le lien avec le trouble et la vision. Je me dis tout simplement: « Si le mal de tête se finit au moment du passage à Samedi, alors  tout ce qui m’arrive est vrai. » Moi, j’aime le concret. Je n’aime pas trop les fantômes. Je ferme les yeux et j’attends. Les minutes passent comme des heures. Et puis le brouillard de mon cerveau s’estompe en un instant. Le coeur battant, j’attrape mon téléphone et le retourne: 00:00

Les 4 zéros de minuit pile m’annoncent que ma vie vient de basculer à tout jamais.

 

Le lendemain matin, j’inscris « Hello world » sur mon Facebook. Celui-ci, jusqu’à présent, ne m’avait servi qu’à poster des photos et à recevoir des « Bon anniversaire ». Changement radical. Il fait soleil. Je  sors pour gouter le parfum de ma nouvelle vie qui commence. Dehors, les gens vont et viennent comme à leur habitude. Je dois surement arborer un visage serein, mais personne ne prête réellement attention à moi. Et puis je vois cet homme. Un simplet comme les bonnes gens diront. Les simplets arborent une certaine naïveté sur le visage et une sorte de sérénité. Ça énerve les bonnes gens.

Il faudrait être idiot pour croire que les « simplets » ne souffrent pas de la morosité ambiante. Seulement eux, ils ont l’intelligence de n’en rien paraitre et de tout garder au fond d’eux. Nos regards se  croisent. Il me fait un clin d’œil et il me sourit. Il  garde ce sourire sur son visage alors qu’il s’éloigne. Je comprends alors ce que signifie ces phrases sur le royaume de Dieu et les simples d’esprit. Mais pourquoi moi? Qu’est ce qui peut justifier cela? Mon imagination débordante me jouerait-elle des tours? La réponse est sur le point de m’être donnée. Un peu plus loin, il y a un manège pour les enfants. Des parents aident leurs enfants à grimper sur les sièges et les regardent amusés. J’observe la scène distraitement, en retrait, à coté d’un arbre qui m’a semblé énorme mais qui ne l’était pas, comme une de ces scènes de la vie courante où le bonheur du quotidien, si subtil, se distille. Ma main  agrippe  le tronc. Ma propre sève m’abandonne en un battement de paupière. Je viens de prendre conscience.

Il y avait donc un prix à payer.

 

Explications:
https://www.stephanpain.com/2013/03/17/la-cour-carree-17-janvier-2012/

Pendant:
https://www.stephanpain.com/2013/03/26/concordia-integritas-industria/

La suite:
https://www.stephanpain.com/2013/05/14/premier-jour-samedi-14-janvier-2012/