vendredi 29 mars 2024

Second Life

Hiver 2007. Le gros de ma période jazz et gospel était derrière moi. Quelques mois plus tard, j’allais être précipité dans l’univers de la trance. Entre ces deux longues périodes j’allais vivre une expérience courte et virtuelle mais incroyablement puissante.

Je découvrais donc Second Life au moment de sa promotion en France vers la fin de l’année 2006. A ce moment là, la plateforme sortait de l’inconnu et de ses 5000 connectés en permanence pour voir sa population augmenter grandement. Je crois me rappeler qu’elle a quadruplé en quelques mois. Au pic de l’utilisation de SL en 2009, elle était de 80 000 personnes avant de  se stabiliser autour des 50 000 actuellement (?). SL affiche une certaine résistance à l’épreuve du temps.Je vais tâcher d’expliquer pourquoi.

Comme en toutes choses, si l’on se borne à une analyse superficielle de SL, on pourrait croire qu’il s’agit là d’une espèce de jeu où l’on vient mouvoir un avatar dans des endroits plus ou moins ludiques en l’habillant et en le changeant de forme tel une poupée. En effet, en se promenant simplement dans les différents univers ouverts au public, on a accès à des simulations plus ou moins poussées qui pourrait faire penser à une alternative aux sims ou bien aux jeux de rôle type World of Warcraft. En réalité, il est très simple de passer à coté de ce qu’est réellement SL. Mais si vous fréquentez cette page Facebook, vous savez que le hasard est un bon ami et qu’il m’a mené là où je devais découvrir de nouvelles choses.

Je ne suis pas un joueur sur ordinateur, ni un joueur tout court. Si bien que j’ai vécu mes tous premiers pas dans cet univers comme une naissance virtuelle. Bien sur, j’avais découvert internet et l’univers des chats au cours de l’année 2000. Je m’étais bien rendu compte qu’internet était plus qu’un outil de communication et qu’il permettait d’aller loin dans la psyché humaine. Mais le fait de se projeter dans un univers en 3 dimensions apportait cette petite touche de réel en plus par rapport au texte seul. Cela peut paraitre stupide, mais les postures et les regards des avatars donnaient vie au silence. Après quelques temps, on apprend à maitriser l’aspect de son avatar, à trouver les bons plans. Les heures défilent. L’image que l’on offre à voir s’affine.

La curiosité amène parfois dans des endroits bien glauques où chacun se laisse aller à ses plus bas instincts. Tandis qu’à l’opposé, on peut découvrir des endroits au panorama très travaillé où les gens s’emploient à redonner vie de la meilleure des façons à des époques révolues. C’est peut-être l’un des rares endroits au monde où l’on puisse entendre parler en vieil anglais de manière si dynamique.

SL est avant tout l’endroit où se rencontrent des âmes. Peut-être aussi que le fait de parler une autre langue que sa langue maternelle participe au phénomène d’évasion?

Le virtuel ne nous conditionne plus dans un physique ou un niveau social. Ici, les seules limites sont notre imagination. Si bien, que l’avatar est le révélateur de l’âme profonde dans la mesure où la personne qui est derrière a suffisamment passé de temps pour le façonner. La beauté virtuelle n’est donc plus un don. Bon nombre de gens confondent beauté et vulgarité. Ici, paradoxalement, on ne peut pas tricher. Tout ce qui est en lien avec notre aspect physique est effacé, seule se révèle au grand jour notre essence.

Et ce n’est pas tout. Puisque tout est possible, il nous faut admettre que ce qui nous arrive n’est que le résultat de ce que nous cherchons. Consciemment ou inconsciemment. SL offre donc un voyage à l’intérieur de sa propre psyché et de celle des autres. Un outil puissant et fascinant.

J’avais plusieurs avatars avec lesquels j’explorais divers scénarios. Je me suis rendu compte que l’un d’eux dominait les autres et semblait plus en résonance avec  moi-même de par les situations et les partages humains qu’il m’offrait. Il s’agissait tout simplement de moi en femme. Quand je dis moi, c’est que j’avais fait tout mon possible pour que les traits et le physique de l’avatar soit le plus proche du mien. Si mes vêtements étaient courts et légers au début, ils ont vite rallongés. Pour finir par donner l’image d’une personne noble, le tout coiffé d’une couronne de roses rouge.

Je pense qu’apparaitre en femme était  surtout un moyen de laisser libre cours à ma sensibilité. Mon genre n’avait pas modifié mon comportement face au sexe opposé au mien (réel).

Assez tôt dans l’aventure, bien avant que mon avatar n’arrive à maturation, je tombais sur un homme sortant de l’ordinaire au hasard de mes explorations.  Bien sur, il était attiré par moi en tant que femme, mais ne se faisait pas pressant et il était de bonne compagnie. Après tout que risquais-je dans le contexte virtuel sinon d’assouvir ma curiosité? Il me fit donc découvrir son univers. Cet homme était un artiste créateur numérique. Son imagination était sans limite et fascinante. Si fabriquer des objets en 3D requiert du travail, rien ne peut supplanter l’imagination.

Il était donc logique qu’il monnaye son activité. Je le suivais chez une de ses clientes. Une cliente pas tout à fait comme les autres puisqu’elle était propriétaire d’une gigantesque île sur laquelle elle avait fait construire un château muni de donjons, une cathédrale, un navire à trois mats, etc etc ainsi qu’un immense centre commercial destiné à générer des revenus en louant ses espaces de vente à des créateurs. Ne sous-estimez pas l’économie générée par SL, vous seriez surpris. Je rappelle qu’à ce moment là, nous étions en plein essor et que ces gens investissaient intelligemment pour le futur. Mais cette femme, bien avant d’être à la tête de ce domaine, était avant tout une maitresse. Mais pas une simple maitresse avec quelques hommes à ses pieds. Non, non. Je parle bien d’une maitresse avec des centaines de personnes à son service. Ces gens ne sont pas des robots, ce sont bien de véritables humains derrière leurs ordinateurs qui viennent se soumettre à cette femme, chacun représenté par son avatar. J’étais abasourdi. Je venais de rentrer de plein pied dans l’univers du BDSM (Bondage Domination Soumission Sado Masochisme) et par la grande porte puisque j’étais en contact direct avec la personne la plus élevée dans la hiérarchie. Bien évidemment, je n’avais strictement rien à faire là, il y avait erreur de casting. Pourtant, j’étais invité à rester et à revenir à ma plus grande surprise. Je comptais parmi les membres de l’île de Fem Dom (Femmes dominatrices).

Quelques temps plus tard, l’homme que j’avais rencontré au préalable et qui m’y avait introduit, a jugé qu’il était temps de passer à l’étape suivante. Il me conviait à une de ses soirées personnelles où je retrouvais plusieurs de ses autres conquêtes. Il révélait un tout autre aspect de sa personnalité. Bien plus sombre celui-là et me forçait à participer à un de ses jeux SM. Si je me suis laissé faire dans un premier temps, tout du moins laissé mon avatar dans des postures étranges, je n’ai pas du tout joué le jeu. L’homme a fini par réaliser qu’il était impossible de me dominer. Je me fis donc éjecter de son univers sans autre forme de procès. Je ne le revis jamais.

Étant un homme dominateur, il n’avait en réalité pas grand chose à voir avec FemDom. C’est ainsi que j’ai pu continuer à y venir sans ennui.

J’ai alors compris l’étendu des groupes  BDSM sur Second Life. Une ville entière dédiée à cela avec toutes les « attractions ». Des créateurs qui inventaient en permanence de nouveaux objets pour que des gens riches viennent assouvir leurs instincts. Détail amusant, j’étais souvent appelé pour faire des tests de nouveaux gadgets. Généralement pas vraiment en lien avec le BDSM à proprement parler mais plutôt des gadgets destinés à animer des soirées jeu ou bien à occuper des gens accompagnants. A me lire, on pourrait penser qu’il s’agit du monde réel.  Eh bien, j’ai du admettre qu’en réalité, il y a peu de différence entre le virtuel et le réel. La domination soumission est avant tout affaire de psychologie. Excepté pour certaines pratiques, le corps n’entre que très peu en ligne de compte. Le virtuel vient simplement résoudre des questions matérielles.

A force de fréquenter régulièrement les lieux, j’ai enfin été convié à une vraie soirée avec de vrais invités. Cette fois là personne ne jouait ou rigolait. Il n’y avait pas de test avec un compte-rendu d’utilisation à rendre à la fin. C’était le genre de soirée, où on se cale dans un coin et où on ne dit rien et on regarde. Je ne me sentais pas vraiment à l’aise, mais il fallait que je sache enfin. Je n’irai surement jamais dans une telle soirée en réel et je dois profiter de la formidable opportunité de ma présence à ce moment là.

Je ne saurais vous décrire ce que j’ai vu. D’abord parce que cela fait bien longtemps maintenant et surtout car n’a pas grand intérêt. Ce qui est le plus important dans ce genre d’endroit, c’est l’atmosphère qui y règne et la décrire avec des mots me parait fort difficile. Bien que l’on soit dans un univers virtuel, l’atmosphère est bel et bien réelle, et c’est surement cela qui fait la popularité des lieux.

Je ne me suis jamais soumis comme les autres. Je parlais normalement à la maitresse, comme à une égale. Je ne faisais bénéficier d’aucun de mes talents. Ma présence dans la durée était donc une énigme. Elle m’a proposé un rôle à jouer mais j’ai décliné poliment.

Dans le même temps, mes pas m’avait amené à rencontrer un dragon. Une personne qui venait sur SL exclusivement sous la forme d’un dragon. Nous nous sommes lié d’amitié et nous passions beaucoup de temps ensemble à discuter. Il pouvait m’emmener sur son dos et voler dans les airs. La tentation était grande d’aller voler dans le paysage de l’île FemDom. Je l’invitais donc.

Après avoir survolé son territoire, nous nous posions à la porte de sa cathédrale d’où la maitresse sortit accompagnée de ses assistants. Il est clair qu’elle a du être impressionnée de ce petit numéro et que cela expliquerait la raison de ma longue présence chez elle.

Au final, ce que je retiens surtout, c’est que bon nombre de gens se sont confié à moi. Cela venait confirmer la faculté d’écoute et de compréhension que j’avais développée sur internet dans mes sessions de chat durant les années précédentes. Mon avatar tout de vert vêtu, faisait  face à des avatars gothiques et torturés, tandis que je me livrais à une séance de psy avec les personnes derrière et leurs chemins de vie cabossés.

Je vivais là la dernière étape avant de passer au réel.

Si je suis allé loin dans l’expérience de la psyché grâce à l’outil virtuel, c’est aussi parce que j’ai lâché prise totalement. J’étais devenu un « no-life ». Fort heureusement, un seul mois de cette expérience concentrée me suffit. J’ai espacé mes venues puis j’ai disparu quasi totalement.

Dans cet article, j’ai tenu à mettre l’accent sur le coté sombre de l’humain, mais que l’on ne s’y méprenne pas, j’ai aussi fait des rencontres avec des gens fascinants,  bons et sains. J’ai côtoyé un univers que je pensais inexistant dans le réel.

Quelques mois plus tard, je découvrais que tout cela pouvait être la réalité dans la trance.

J’ai aussi eu l’occasion de côtoyer l’univers BDSM dans le réel.

Bien ou mal. A croire que je n’aime pas la demi-mesure.

Parce que dans la vie, le hasard n’existe pas…