vendredi 3 mai 2024

Engendré

Nous allons poursuivre une étude qui décortique une partie de la théologie issue du livre dit « Aux hébreux » que nous avions débutée ici: https://www.stephanpain.com/2023/02/18/justice/
Voir également le passage sur le pseudo-sacerdoce dans: https://www.stephanpain.com/2015/08/27/more/
En prérequis, il est essentiel de maitriser le sujet principal abordé ici: https://www.stephanpain.com/2015/07/14/avant-quabraham-fut-je-suis/

 Hébreux 1.13 Et auquel des anges a-t-il jamais dit: Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis ton marchepied?

La remarque que fait le rédacteur de Hébreux suggère que le personnage à qui s’adresse le Créateur étant de rang plus élevé que les anges, il serait de nature divine. Si cela suffira à convaincre un chrétien,  il en ira tout autrement pour un musulman véridique. En effet, tout musulman connait l’histoire fondatrice de l’humanité: le Créateur demande aux anges de se prosterner devant Adam et le Sheytan refuse, arguant qu’il est de rang plus élevé. D’ailleurs, en théologie rabbinique, l’homme est également de rang supérieur aux anges. L’homme possède le libre-arbitre, pas les anges. Il y a fort à parier que ce parti théologique était déjà d’actualité du temps des évangiles. Le rédacteur d’hébreux démontre superbement son ignorance des principes fondateurs de la Torah. Les premiers chapitres s’épanchent longuement sur une prétendue explication argumentée. L’enjeu de l’atteinte à l’Unicité en valait clairement la peine semble-t-il. Cette théologie du statut particulier des anges provient de sectes dissidentes aux courants du judaïsme antique du second Temple. On en trouve trace notamment dans les écrits de Qumran. (11Q13 , également 11QMelch ou le document Melchisédek , est un manuscrit fragmentaire parmi les manuscrits de la mer Morte ( de la grotte 11 ) qui mentionne Melchisédek comme chef des anges de Dieu dans une guerre au ciel contre les anges des ténèbres au lieu de l’ archange Michel https://en.wikipedia.org/wiki/11Q13 )
Le rédacteur d’Hébreux, même s’il prétend par ailleurs mettre en garde contre des croyances étrangères (13.9 Ne vous laissez pas entraîner par des doctrines diverses et étrangères;), s’inscrit pourtant dans une doctrine au mieux alternative.

2.6 Or quelqu’un a rendu quelque part ce témoignage: Qu’est-ce que l’homme, pour que tu te souviennes de lui, ou le fils de l’homme, pour que tu prennes soin de lui?
2.7 Tu l’as abaissé pour un peu de temps au-dessous des anges, tu l’as couronné de gloire et d’honneur,

2.6 est une citation du Psaume 8.5. La partie 2.7 provient du cerveau du rédacteur.

8:6 Tu l’as fait de peu inférieur à Dieu, et Tu l’as couronné de gloire et de magnificence.
8:7 Tu lui as donné la domination sur les œuvres de tes mains, Tu as tout mis sous ses pieds,

Le Psaume cité confirme que l’homme a le rang juste inférieur à Dieu. Il n’y a donc aucune autre créature qui peut se placer entre. La seule motivation pour argumenter en sens contraire, serait d’appartenir à cette caste ou de s’y soumettre. Inutile de préciser que l’individu en question sort du cadre du monothéisme strict. Il est indéfendable. Cet acte de rébellion, à peine dissimulé, dévoile la véritable nature de cet écrit.

2.5 En effet, ce n’est pas à des anges que Dieu a soumis le monde à venir dont nous parlons.

Cela signifie donc bien que le monde serait soumis à des anges selon lui. L’auteur s’inscrit dans cette interprétation de la Septante que nous avions débusquée dans cet article: https://www.stephanpain.com/2024/01/19/tombant-du-ciel/

La suite abonde en ce sens:

2.14 Ainsi donc, puisque les enfants participent au sang et à la chair, il y a également participé lui-même, afin que, par la mort, il anéantît celui qui a la puissance de la mort, c’est à dire le diable (le djinn lapidé),

L’auteur prétend que l’adversaire, maudit soit-il, aurait un quelconque pouvoir sur la mort. Je me souviens d’une conversation avec un chrétien haut-responsable d’une communauté à propos du Christ qui aurait « vaincu la mort ». Je lui montrais que seul le Créateur a le pouvoir de donner la mort. Il n’y a donc rien à vaincre en la matière. Il me rétorquait qu’en théologie chrétienne, la mort dont il est question est la mort spirituelle et non la mort physique. Le diable serait donc responsable de la mort spirituelle, c’est à dire de la coupure d’avec la vie éternelle. L’argument est recevable, mais le verset parle du sang et de la chair. Cela invalide l’argument du spirituel. Il est fort possible que ce pan de théologie chrétienne sur la victoire sur la mort provienne en partie de ce passage. La théologie est de type dualiste. Un démiurge donnerait la mort. Qu’Allah nous en préserve!

Le rédacteur du texte n’est pas celui des Épitres, mais l’un de ses disciples. Du moins c’est ce que laisse supposer la mention du disciple Timothée. Il n’est, pour sa part, pas considéré comme pharisien, comme le mythe du maitre de ces deux-là nous exhorte de croire concernant ce dernier.  En réalité, tenter de savoir quelle est la vérité derrière le récit ne m’intéresse que très peu. Certes, l’homme est considéré comme un brillant helléniste et utilise la langue et la théologie  considérées comme les plus riches  de ce que l’on nomme le Nouveau Testament. Mais les meilleurs menteurs sont assurément ceux qui ont le plus beau discours.
Quelques versets plus haut, nous avons un rapprochement hasardeux sur la même thématique:

1.5 Car auquel des anges Dieu a-t-il jamais dit: Tu es mon Fils, Je t’ai engendré aujourd’hui? Et encore: Je serai pour lui un père, et il sera pour moi un fils?

Penchons-nous d’abord sur la deuxième partie. Ici, il est fait référence à:

2 Sm 7.14 Je serai pour lui un père, et il sera pour moi un fils.

Nous avions traité de cette question ici: https://www.stephanpain.com/2018/11/16/promesse-a-david/
Je rappelais que la royauté physique du prophète-roi a cessé. En conséquence la prophétie dont il est question dans ce passage décrit une descendance spirituelle. Tout du moins, si il y a une descendance dans la chair, sa royauté n’est pas temporelle. Dans le contexte, en tout cas, cette relation « père-fils » peut concerner toute la descendance de David, paix sur lui, comme une personne en particulier. Ce n’est que l’assemblage avec la première partie qui permet de limiter à la personne du Messie. Quelque soit l’interprétation complexe que l’on puisse faire du livre de Samuel sur le Temple/filiation davidienne/royauté, l’argument ne fonctionne pas pour prouver un statut divin. Il y a là une erreur manifeste. La suite du verset va en ce sens:

 S’il fait le mal, je le châtierai avec la verge des hommes et avec les coups des enfants des hommes;

(Ce verset n’invite pas certains à s’imaginer qu’ils sont légitimes pour juger et appliquer une sentence à l’égard de ceux qui ont péchés selon leur perception. Le lynchage est une rébellion contre la Loi révélée)
Le Messie selon la théologie chrétienne ne peut pas pêcher, il ne peut donc cadrer avec cette mention qui complète la description de la  nature de la relation père/fils à établir (qui  n’est donc pas une connexion de toute éternité). Nous en venons donc à cette première partie, qui est en réalité ce qui va faire force de persuasion dans les milieux chrétiens et qui elle, fait référence à (selon la traduction chrétienne):

Ps 2.7Je publierai le décret; L’Éternel m’a dit: Tu es mon fils! Je t’ai engendré aujourd’hui.

Avant de livrer une interprétation détaillée de ce verset, reprenons le texte du Psaume.

2.1 Pourquoi ce tumulte parmi les nations, ces vaines pensées parmi les peuples?
2.2 Pourquoi les rois de la terre se soulèvent-ils et les princes se liguent-ils avec eux contre l’Éternel et contre son oint?

Selon toute vraisemblance, même si cela n’est pas indiqué, le Psaume peut être attribué à David, paix sur lui. Mais, dès le début, quelque chose coince: il est question des rois de la la terre. Or, la royauté de David, paix sur lui, n’a pas rayonné de son vivant de manière aussi étendue. Si le roi est oint de l’Éternel, il n’en demeure pas moins, que nous devons comprendre que le oint dont il est question ici n’est pas David, paix sur lui. Le oint qui fait face aux nations, c’est le Messie à sa Seconde Venue. Qu’il se retrouve face à une hostilité coordonnée de la part des grands de ce monde est une réalité factuelle et logique. Nous pourrions étendre cette hostilité aux hommes de pouvoir dans la foi et à ceux qui leur sont fidèles. Une hiérarchie tient avant tout par sa base.

2.3 Brisons leurs liens, délivrons-nous de leurs chaînes! –

Ce n’est plus le Créateur qui parle ici. Le Créateur ne peut être enchainé par les grands de ce monde. Celui qui parle ici, c’est le oint. Il invite tous ceux qui le lisent à s’affranchir du mensonge des princes de ce monde.

2.4 Celui qui siège dans les cieux rit, le Seigneur se moque d’eux.

Le Messie poursuit: Le Seigneur se moque d’eux. Je pense que nous sommes bel et bien dans une mise en abyme. Mais il ne s’agit pas d’un rire communicatif.

2.5 Puis il leur parle dans sa colère, Il les épouvante dans sa fureur:

Car si le Seigneur se moque, l’instant d’après, c’est pour reprendre sur un ton beaucoup plus ferme. Le Seigneur se moque parce que le temps est venu d’abattre sa Colère.

2.6 C’est moi qui ai oint mon roi sur Sion, ma montagne sainte!

C’est le Seigneur qui décrète qui il va oindre.
C’est le Seigneur qui décrète ce que signifie la fonction de roi.
C’est le Seigneur qui décrète ce qu’est Sion.
C’est le Seigneur qui décrète la nature de Sa montagne.

Nul ici-bas n’a autorité pour faire passer des tests au Messie afin de le légitimer.
Nul ici-bas n’a autorité pour juger de ses aptitudes.
Nul ici-bas n’a autorité pour juger de son comportement.

Le Seigneur guide qui Il veut.
Le Seigneur égare qui il veut.

2.7Je publierai le décret: L’Éternel m’a dit: Tu es mon fils! Je t’ai engendré aujourd’hui.

Avez-vous noté la différence? il y a un deux points au lieu du point-virgule. Cela n’a l’air de rien, mais il n’est pas question ici de couper les idées en deux.

אֲסַפְּרָה, אֶל-חֹק
asafrah al hoq

Il n’y a pas de futur ici. Ce n’est pas le Seigneur qui parle ici mais le rédacteur. Sefer signifie le Livre en hébreu. L’action ici est: inscrire dans les Écritures. al hoq signifie une loi. Le rabbinat traduit ainsi:

Je veux proclamer ce qui est une loi immuable:

« L’Éternel m’a dit »: fait parti du décret. Le rédacteur est donc en train d’inscrire une  Parole révélée et non simplement inspirée.

Je vais ajouter des mentions afin que les choses soient claires:

Tu (le Messie) es mon (moi David) fils! Je (David) t’ai (le Messie) engendré (yaliditika) aujourd’hui (au moment où tu comprends ce message que je t’ai envoyé au travers de ce texte révélé).

Ce n’est donc pas le Seigneur qui engendre ici!
Il n’y a donc aucune opposition au texte du Coran:

Coran 112.3 lam yalid wa lam youlad
Il n’a jamais engendré, et n’a pas été engendré

Pour appuyer le statut de décret divin de ce verset, remarquons que ici le mot fils est ben, donc de l’hébreu biblique et indique un ton solennel. Tandis que le mot fils de la fin du psaume est bar qui est un mot araméen. Cela traduit un statut humain et une certaine familiarité et induit une opposition qui aide à la compréhension. Familiarité dans le sens où l’araméen était la langue dominante dans les milieux traditionnels galiléen au premier siècle comme en témoigne les évangiles lorsqu’ils rapportent le début du Psaume 22 et indiquent que la langue usuelle de prédication du Messie était l’araméen. Le mot bar n’apparait que dans deux versets de psaumes dans toute la Bible.
Le décret divin semble prendre fin ici. La suite s’appuie sur la sagesse inspirée du rédacteur comme en témoigne l’utilisation du mot bar.
Poursuivons le Psaume:

8 Demande-le-moi, et je te donnerai des peuples comme héritage, les confins de la terre pour domaine.

Cette demande trouve sa réponse dans les Psaumes. C’est là que réside la sagesse du prophète-roi, paix sur lui, que le Messie trouvera.

9 Tu les briseras avec un sceptre de fer, tu les broieras comme un vase de potier. »

Ceci est une annonce. Le sceptre est constitué des Écritures.

10 Et maintenant, ô rois, sachez comprendre, tenez-vous pour avertis, juges de la terre!

Ouvrez grand vos yeux.

11 Adorez l’Éternel avec crainte, et réjouissez-vous [en Dieu] avec tremblement.

 

12 Rendez hommage au fils (de David), de peur qu’il ne s’indigne, et que vous n’alliez a votre perte;

 

car bien vite sa colère prend feu:

 

Heureux tous ceux qui s’abritent en lui!