mardi 7 mai 2024

Au commencement

א בְּרֵאשִׁית, בָּרָא אֱלֹהִים, אֵת הַשָּׁמַיִם, וְאֵת הָאָרֶץ. 1 Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre.
ב וְהָאָרֶץ, הָיְתָה תֹהוּ וָבֹהוּ, וְחֹשֶׁךְ, עַל-פְּנֵי תְהוֹם; וְרוּחַ אֱלֹהִים, מְרַחֶפֶת עַל-פְּנֵי הַמָּיִם. 2 Or la terre était sans forme et vide; des ténèbres couvraient la face de l’abîme, et le souffle de Dieu planait à la surface des eaux.
ג וַיֹּאמֶר אֱלֹהִים, יְהִי אוֹר;
וַיְהִי-אוֹר
3 Dieu dit: « Que la lumière soit! »
Et la lumière fut.

1.1 Ἐν ἀρχῇ ἦν ὁ λόγος,
καὶ ὁ λόγος ἦν πρὸς τὸν θεόν,
καὶ θεὸς ἦν ὁ λόγος.
.
14 Καὶ ὁ λόγος σὰρξ ἐγένετο,
καὶ ἐσκήνωσεν ἐν ἡμῖν
1.1 Au commencement était le  Logos,
et le Logos était avec Dieu,
et Dieu était le Logos.
.
14 Et le Logos est devenu chair,
et il a habité parmi nous

Voici les deux textes mis l’un après l’autre. L’original et la (mauvaise) copie. Si j’ai tenu à placer les textes originaux, c’est parce qu’il me semblait qu’il s’agissait d’un tout. Ainsi, le grec défie l’hébreu. Si je devais justifier la rédaction de cet article il suffirait de rapporter qu’au moment où j’ai voulu cliquer sur l’onglet de mon navigateur pour l’entamer, j’ai cliqué par mégarde sur l’icône voisine: theWord. Il s’agit d’un logiciel d’étude biblique anglo-saxon. Dans la rubrique « à propos », que j’ai visité pour l’occasion en comprenant que cette erreur de jugé n’avait rien de fortuit, l’auteur du logiciel explique que son véritable nom, comme vous pouvez le constater dans l’image ci-dessous, est « in the beginning was the word » raccourci en theWord. Nous sommes bel et bien à la racine primaire du christianisme. L’helléno-christianisme et le christianisme sont une même chose dans le sens ou le mot chrétien est issu de Christos qui est la traduction grecque de Messie. Coraniquement parlant, il convient de parler de nassârâ/nasraniyya. Et si j’utilise cette image de racine, c’est à dessein, car une fois arrachée, plus rien ne pourra repousser.

Il est peu probable que le quatrième évangile ait été composé dès son origine tel que nous pouvons le lire. L’ensemble, de par sa structure globale en chiasme tel que nous l’avons compris il y a quelques temps, est le fruit d’un long travail. Comme je le faisais remarquer à propos des scènes d’introduction des œuvres de fiction, tout se joue au début. Cet écrit n’échappe pas à la règle. Sauf que là, l’enjeu est considérable. A tel point, que j’ai du moi-même abandonner l’idée de faire un jeu de mot où il aurait été vaguement question de maitriser/mettre le logos dans le titre.

Généralement, ce n’est pas le mot logos qui est écrit dans les traductions mais Parole en français. Parole est la traduction usuelle du mot dabar de la Bible. Mais, chose curieuse, si l’accent est clairement mis sur ce mot dans le pseudo-évangile, ce n’est pas le cas dans Genèse. Le premier verset rapporte l’action créatrice première. Le deuxième mentionne le souffle divin. Il s’agit d’avantage de l’Esprit: Rouh רוּחַ. Ce n’est que dans le troisième qu’entre en scène véritablement la Parole. Et encore, elle n’est pas nommée. L’Éternel se décrit lui-même au travers de son action de créer par les mots. Il se dégage une volonté évidente de ce pseudo-évangile de se substituer à la Torah. Et si en réalité il ne va pas réellement au bout des choses, c’est qu’il y a une très bonne raison à cela. C’est ce que nous verrons un peu plus loin. Ainsi le logos serait l’équivalent grec de la Parole. Le logos serait d’essence divine. De là découle tout le concept du nébuleux helléno-christianisme, fondement de la civilisation occidentale.

Si nous nous penchons sur la philosophie grecque, le mot logos nous emmène sur un univers de réflexion métaphysique qui a été débattu depuis plus de deux millénaires. Le logos grec a-t-il oui ou non une dimension divine? Est-il seulement pertinent de se poser la question? N’est-ce pas tout simplement contreproductif que de vouloir argumenter sur ce terrain? De même, d’affirmer que le logos serait devenu chair, comment débattre sur cela? Il y a ceux qui considèrent que cela n’a aucun sens, et il y a les autres.

En travaillant sur le sujet, je suis tombé sur l’interprétation protestante. La réforme a introduit un nouveau concept. Comme je le dis souvent, la réforme, si elle a été motivée par des raisons fondées, a été à l’origine de nouvelles dérives. En voici un formidable exemple. Les fidèles, ainsi que les pasteurs du quotidien, répètent comme des robots, que le logos irait de pair avec le rhema. Le rhema serait le logos investi de l’Esprit divin. Ce serait le rhema qui serait le véritable souffle qui anime les fidèles. En témoigneraient les manifestations de joie lors des cultes, doit-on supposer. Premièrement si le logos est la Parole créatrice, j’avoue avoir du mal à comprendre comment elle ne serait pas investie de l’Esprit. Deuxièmement, voici un exemple de versets parmi plusieurs qui mettent à mal ce prétendu concept:

Actes 6 : 13 Ils produisirent de faux témoins, qui dirent : Cet homme ne cesse de proférer des paroles (rhema) contre le lieu saint et contre la loi;

Le rhema dont il est question ici sont des paroles de blasphème. Inutile de poursuivre la démonstration, ce concept est totalement erroné. Il est incompréhensible qu’il perdure encore à notre époque. Peut-être faut-il voir là une sorte d’autopersuasion. Ou bien une volonté déraisonnable de vouloir se démarquer à tout prix de la matrice apostolique. Ce concept aura eu au moins le mérite d’attirer l’attention sur une décomposition alternative au concept de la trinité. Considérons le concept du logos dans le cadre de la rhétorique. Il est alors indissociable de l’ethos et du pathos. Ces trois concepts vulgarisés en langage moderne dans un cadre d’une formation à la communication se définissent respectivement par: raisonnement, légitimité, émotion. La création de ce concept de rhema trouve certainement son origine dans la volonté de faire apparaitre la dimension de l’émotion dans la transmission de la Parole. En réalité, il ne s’agit que de renommer le concept trinitaire de l’Esprit saint, considérant les émotions qui envahissent les fidèles lorsqu’il agit. Si la personne du fils est le logos incarné, alors nous comprenons que le Père est la partie ethos. Cette partie divine, qui apporte sa légitimité à la Parole, se retrouve tout simplement dans les anciennes écritures. Le pseudo-évangile a donc besoin des écritures pour se légitimer. Voilà pourquoi le processus de substitution ne peut pas être total. Ce plaquage de la rhétorique grecque sur la trinité peut sembler avoir du sens. A condition de fusionner le Créateur avec sa Parole. Après tout, dans le Coran il est dit: koun fa ya koun: Soit et il est. Nous en revenons alors invariablement à la confrontation de deux appréhensions du divin.

Seulement voilà, à vouloir trop en faire, à vouloir singer la Parole, l’auteur utilise l’introduction « Au commencement ». A cette question, aucune ambiguïté, il s’agit bien du commencement de la Création. Il s’agit d’une situation temporelle. Or, le concept d’Unicité attaché au Nom, qui est le véritable concept fondateur de la Torah, implique que le temps n’a pas d’emprise sur Celui qui est.

Ex 3.14 Dieu répondit à Moïse: « Je suis l’Être invariable! »
(Je suis Celui qui est)

Remarquons que le Créateur ne révèle son Nom qu’au travers de la révélation de la Torah alors qu’Il s’était déjà révélé à de nombreux prophètes antérieurs. De même, Il ne livre le nom de la « religion » qu’au milieu du Coran, dernier livre révélé. Nous pourrions penser que le Créateur possède deux noms. Déjà, dans les deux livres, ils sont très nombreux. Ensuite, je serais tenté de supposer que le nom Yah est la version tronquée par le début du nom Allah qui n’apparait pleinement qu’une fois la Révélation scripturaire achevée. La fin du Nom contient déjà le son « h » qui évoquerait le souffle Rouh. Le double lam évoquerait les deux livres piliers de la Révélation, la Torah et le Coran, les deux tours. Le reste des écritures sont un liant qui serait symbolisé par les sons « a ».
Le pseudo-évangile si il emprunte en partie à la rhétorique sémitique de par sa structure globale afin de tromper, n’a pu se départir d’énoncer son principe fondateur en introduction s’inscrivant pleinement dans la rhétorique linéaire grecque.
L’éternité n’a pas de commencement. Muni de notre logique toute humaine, nous déduisons des trois propositions du premier pseudo-verset que: au commencement était Dieu.

La seule entité qui aurait pu prétendre être au commencement et qui aurait pu prétendre qu’elle incarnait la raison/apportait toute la connaissance était l’adversaire.

Dans son orgueil de vouloir singer les écritures, et à se mettre à la place du Créateur, l’adversaire, en voulant duper les croyants, a vu son stratagème se retourner contre lui. En effet, la Parole est belle et bien issue de l’arbre de la Connaissance. Mais la Parole peut se rationaliser. La foi, quant à elle, qui se nourrit de l’amour échangé entre la créature et son Créateur échappe à la raison.

L’Esprit s’incarne dans le Messie, pas la Parole. Ces trois là sont créés et sont dissociés du Créateur.
La Parole s’incarne dans  le Livre.

Car Il est ce qui a été, ce qui est et ce qui sera.

 

 

Notes:

Signalons  l’ajout du passage dans les évangiles:
https://www.stephanpain.com/2024/04/06/injil/

En 15 Car même chez les prophètes, même après que le Saint-Esprit les a oints, des paroles pécheresses sont apparues.

Cette phrase invalide la doctrine de l’infaillibilité prophétique. Les prophètes étant des hommes, donc imparfaits, sont donc sujets au péché. Le Créateur façonne le serviteur selon sa convenance en vue de la mission assignée. Déclarer infaillible un prophète et se déclarer disciple de celui-ci, revient à se définir soi-même comme infaillible. C’est la porte ouverte à la tyrannie et à l’autoritarisme.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Logos
https://fr.wikipedia.org/wiki/Hypostase_(m%C3%A9taphysique)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Logos_(christianisme)

Le choix de la citation de la rubrique « à propos » est celle de l’auteur du logiciel. Remarquons une ironie non dissimulée absolument inconnue de lui:

leLogos
2 Cr 5.18 Et tout cela vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec lui par Christ, et qui nous a donné le ministère de la réconciliation.
5.19 Car Dieu était en Christ, réconciliant le monde avec lui-même, en n’imputant point aux hommes leurs offenses, et il a mis en nous la parole de la réconciliation.

Quant à moi, 12 ans plus tard, je constate une certaine constance dans mes prises de position. https://www.stephanpain.com/2014/12/16/puzzles-et-patiences/

Les oiseaux ont toujours été unis.