vendredi 29 mars 2024

Le bon Samaritain

Si l’on devait résumer le contresens majeur de la pensée chrétienne qui s’est forgée autour de la parole messianique, on pourrait ne retenir que la « parabole du bon Samaritain ». En effet, dans l’esprit des gens, et ce, dans un cadre qui a largement dépassé les frontières de la chrétienté, être un bon samaritain signifie être charitable envers autrui. Il s’agit d’un principe purement universel. Or, si l’on se replace dans le contexte de l’époque, cette parabole s’avère prendre un tout autre sens. Tout d’abord il est essentiel de comprendre que le principe de réciprocité n’est pas né avec le christianisme. Il est présent dans absolument toutes les religions. Nombreuses sont celles qui ont précédé le christianisme. Cet article en dresse la liste:
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89thique_de_r%C3%A9ciprocit%C3%A9

Ensuite, il convient de se replacer dans le contexte de la loi mosaïque. Ce n’est pas Jésus qui rappelle la règle d’or mais bien son interlocuteur.

10.25 Un docteur de la loi se leva, et dit à Jésus, pour l’éprouver: Maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle?
10.26 Jésus lui dit: Qu’est-il écrit dans la loi? Qu’y lis-tu?
10.27 Il répondit: Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force, et de toute ta pensée; et ton prochain comme toi-même.
10.28 Tu as bien répondu, lui dit Jésus; fais cela, et tu vivras.

Celui-ci fait référence à ce passage de la Bible:

« Tu ne te vengeras pas, ou tu ne porteras aucun grief contre les enfants de ton peuple, tu aimeras ton prochain comme toi-même : Je suis le seigneur. » – Torah, Lévitique 19:18. (environ -538/-332) ;

Cette règle est ainsi présentée par Hillel (vers le début de l’ère chrétienne, avant les enseignements de Jésus) :

« Ce que tu ne voudrais pas que l’on te fît, ne l’inflige pas à autrui. C’est là toute la Torah, le reste n’est que commentaire. Maintenant, va et étudie. » – Talmud de Babylone

Dans le contexte du Lévitique, il est clairement question de la relation entre les croyants. Or, la spécificité du christianisme est d’avoir donné à cet enseignement une portée universelle. Comme elle est absente de la Torah, le point de vue chrétien considère donc que le messie est la cause de cette nouveauté théologique.

En vérité, il s’agit là bien d’un contresens. Mais celui-ci provient de l’incompréhension de la suite de l’échange.

10.29 Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus: Et qui est mon prochain?

Il s’agit d’une question d’ordre exégétique, posée par un érudit (docteur de la loi) et non une demande d’enseignement du bon comportement d’un croyant lambda à l’égard d’un « savant ». Les mots « voulant se justifier » sont la trace de la mauvaise interprétation de Luc de la scène qu’il rapporte. (Les Évangiles en sont hélas remplis)  La question a surement été formulée sur un ton beaucoup plus assuré, voire accusateur. La réponse apportée est ce qu’on nomme communément la parabole du bon Samaritain. Je vais donc vous expliquer sa réelle signification afin de lever toute ambiguïté.
Dans la compréhension usuelle, on se place selon le point de vue judéen, qui va devenir par voie de conséquence le point de vue chrétien, puis le point de vue universel. Les samaritains sont alors considérés comme des ennemis d’Israël. Ils ne sont guère que des apostats, des polythéistes s’étant accaparé la Torah, au mieux une secte dissidente juive (on note le glissement opéré désormais entre « israélisme » et judaïsme). Les personnages qui passent à coté du mourant sont considérés comme faisant partie de l’élite juive. Ils en sont représentatifs. Le personnage miséricordieux est lui, considéré comme extérieur. Un humain comme un autre. Là est le glissement vers l’universel. Par la suite, le principe a évolué tout naturellement vers l’humanisme, par dénaturation du sens des mots. L’opposition dans les comportements se situe donc entre l’élite et le simple humain au sens large. Notons au passage que l’histoire s’appesantit sur les actions du bienfaiteurs afin de donner plus d’épaisseur au récit. Il est d’ailleurs fort possible que cela ait été ajouté postérieurement pour des raisons purement littéraires.

A présent, tâchons de redonner son vrai sens à cette réponse. Tout d’abord, il est essentiel de comprendre que les groupes  judéens et samaritains forment, à eux deux, l’ensemble des enfants d’Israël. 2 tribus pour les uns et 10 pour les autres. (il convient de se remémorer que le retour effectif en terre promise est subordonné au retour des 10 tribus perdues, ce qui explique des théories insensées sur des tribus faussement retrouvées afin de faire coïncider les évènements actuels avec les écritures)  Le verset 19.18 du Lévitique est explicite: il s’adresse « aux enfants de ton peuple », donc à tous les enfants d’Israël sans exception. Bien entendu, il n’y a aucune notion d’universel. C’est un commandement dictant la conduite entre les croyants dans le Dieu unique dans la Torah (Loi). L’homme qui pose la question s’inquiète donc de savoir ceux qui il doit considérer comme croyants afin d’assurer son salut et celui de ceux à qui il enseigne (ce qui implique sa responsabilité aux yeux de Dieu; il faut s’imaginer l’enjeu) . Le mot ‘prochain’ indique nécessairement un coreligionnaire. Ici, Jésus balaie la scission entre juifs et samaritains. Il démontre fermement que le croyant « ordinaire » juif à qui il s’adresse, est plus proche d’un samaritain qui est censé être son ennemi, que de ceux de son élite. Cela va même plus loin: la parabole ne s’attaque pas aux pharisiens, dont les rabbins appartiennent eux-aussi à l’élite, c’est à dire au mouvement qui va évoluer plus tard en judaïsme rabbinique et va devenir le judaïsme à part entière. Non, il ne s’attaque qu’aux sacrificateurs et aux lévites, c’est à dire à ceux qui officient au Temple de Jérusalem. Ceux-là ne sont pas des prochains. Ils ne sont pas des coreligionnaires, mais des ennemis des croyants.
Bien sur, ce n’est pas tant que ces hommes soient mauvais. Ce n’est pas parce qu’ils n’ont aucune pitié pour le blessé qu’ils ne le secourent pas.
La raison est fort simple: de part leur fonction au Temple, il leur est interdit de toucher un cadavre sous peine d’être impurs pour une certaine durée. C’est pour préserver leur fonction, donc pour placer Dieu avant tout, qu’ils agissent ainsi.
La fonction principale du messie est d’abolir le service du Temple et les règles qui y sont liées. Il le fait donc ici symboliquement par cette fracassante déclaration. C’est d’ailleurs surement la raison unique de sa condamnation à mort.
Il est clair que tous ceux qui ont assisté à la scène ou à qui on a rapporté ces paroles dans ce contexte, ont bien compris le message. Ils n’en ont fait aucune interprétation philosophique universelle. Cela aurait été tout simplement anachronique.

Ce texte n’est donc pas une parabole mais bien une réponse franche et directe à une question qui l’est tout autant. Il devrait être nommé non pas la parabole du bon Samaritain mais la définition du bon prochain.
Les samaritains et les juifs sont coreligionnaires parce que prochains. Les ennemis des croyants sont ceux qui officient dans le Temple de Jérusalem. Ils ont trompé le peuple en propageant des mensonges au sujet de Salomon et de son royaume.
En conséquence, le vrai Temple était sur le mont Garizim.
Comme vous pouvez le constater au travers de mes articles, tous les chemins théologiques mènent à Sichem et non à Rome.
Quant à l’universalité de la religion de Dieu, elle n’a été effective qu’à la révélation du Coran. (Tout en conservant à l’esprit que tout ceci n’était alors que purement théorique)
Je vous invite cordialement à effectuer l’analogie avec la situation actuelle en renommant chaque personnage.

Rappel: Les pharisiens ont traversé l’épreuve de la destruction du Temple car ils avaient une vision de l’enseignement religieux suivant le mode rabbinique, c’est à dire horizontal au travers des synagogues. Il ne faudrait pas croire qu’il s’agissait là d’une interprétation de la religion plus aboutie. En réalité, les pharisiens et les esséniens ne reconnaissaient pas le Temple parce qu’il avait été bâti par Hérode, qu’ils considèrent comme un roi illégitime. Chacun des deux groupes s’est organisé à sa façon en réaction. (les esséniens avaient choisi le mode autarcique) Mais il est clair que subsistait l’envie profonde de rétablir le culte israélite dans un Temple central légitime. Voilà pourquoi le judaïsme moderne, pourtant basé sur le rabbinat, est obnubilé par le troisième Temple. La destruction du Temple a pour un temps, créé une sorte de convergence théologique artificielle entre partisans de Jésus et pharisiens. C’est surement la raison profonde des contresens et contradictions des premiers temps du christianisme. Les Évangiles rapportent des propos des apôtres allant dans le sens d’une restauration physique. Tandis que les premiers exégètes jettent les bases du concept de royaume céleste.