jeudi 28 mars 2024

Coran: créé ou incréé

Voilà un bon moment que le sujet me trotte en tête. J’espérais que chacun puisse raisonner sur la question et trouver une réponse à partir de certains de mes articles. Ayant constaté que les choses n’étaient pas si évidentes à saisir, j’ai donc pris la décision d’expliciter la question.

Pour poser les bonnes bases, je vais citer le Coran lui-même:

43.1 Ha Mim

2 Par le Livre explicite!

3 Nous en avons fait un Coran en arabe afin que vous raisonniez.

4 Il est auprès de Nous, dans l’Ecriture-Mère, exalté et rempli de sagesse.

5 Allons-Nous éloigner de vous le Rappel pour la raison que vous êtes un peuple outrancier?

Depuis les débuts de l’Islam, les croyants ont voulu déterminer si le Coran était créé ou incréé. Il semblerait que la question ne pouvait rester irrésolue. Il a donc fallu trancher. Il a été décidé que le Coran était incréé, qu’il était de toute éternité. Et que désormais, toute personne prétendant le contraire devait en subit les conséquences ici-bas par un châtiment exemplaire. De la haine, des larmes et du sang.

Bien souvent, quand une question théologique revêt un caractère dogmatique et qu’elle déchaîne les passions, c’est que cette question est mal formulée.

En effet, le Coran que nous pouvons lire ici-bas, n’est ni créé ni incréé. La question est sans fondement.

Encore une fois, il suffit de lire. Tout d’abord, le verset 5 nous confirme que ce début de sourate s’adresse aux arabes, c’est à dire au peuple qui reçoit la lourde responsabilité de la descente du Coran. Le verset 3 précise que du Livre explicite, il en a été tiré un Coran. Et que celui-ci est en arabe afin de placer dans les meilleures conditions le peuple récepteur. Nous pouvons en déduire deux choses: le Livre explicite dans l’écriture mère est un livre distinct du Coran et que celui-ci n’est pas en arabe. Dans quelle langue est-il? Tout simplement dans une langue propre au divin, incompréhensible et indéfinissable dans sa nature par l’esprit humain. L’arabe n’est qu’une traduction destinée aux humains.

Considérons également ce passage:

56.77 Et c’est certainement un Coran noble,

56.78 dans un Livre caché/secret/voilé

56.79 que seuls les purifiés touchent.

Le verset 77 utilise le pronom indéfini la avant le mot Coran afin de montrer qu’il s’agit d’un des « Corans » possibles. Puis le mot fi indique que ce Coran est contenu dans le Livre caché, donc il s’agit d’un sous-ensemble. Ce livre caché est céleste, car personne ici-bas ne peut accéder au statut de purifié.

Pour comprendre le contenu de ce livre explicite, il convient une nouvelle fois d’aborder le sujet de la prédestination et du libre-arbitre. L’erreur couramment commise par un grand nombre de croyants est de penser que l’Histoire est unique parce qu’elle a été écrite entièrement à l’avance. Il faut juste admettre que Dieu a la capacité d’imaginer tous les scénarios possibles de toutes les vies à chaque instant. En conséquence, dire de Dieu qu’il sait à l’avance ce que nous allons faire n’a pas de sens. Le temps n’existe pas pour Dieu. Il sait ce que vous allez faire, mais il sait aussi ce que vous auriez pu faire et que vous n’avez pas fait. Il ne « sait » pas. Envisager l’avenir est une caractéristique humaine. Il a imaginé toutes les possibilités. Et tout cela a été écrit dans une sorte de Livre global. De ce Livre global qui raconte toute les histoires de l’univers, Il a retenu certains passages clefs vécus par les messagers afin que ces récits servent à guider les autres humains. Bien sur, ces récits ne sont pas uniques non plus. Si certains événements clefs sont incontournables, d’autres, en revanche, sont liés au libre-arbitre des prophètes. Comprenez bien que malgré le libre-arbitre des prophètes, les scénarios sont toujours écrits afin d’accomplir la mission, et ce, même au détriment des prophètes eux-mêmes. Le meilleur exemple en la matière est bel et bien Jonas. Il a choisi la fuite, mais Dieu avait tout prévu et il est impossible de lui échapper. Bien sur la miséricorde demeure le moteur de la prophétie. Mais Dieu obtient toujours ce qu’Il veut.  Il faut se mettre en tête que de n’importe quel humain, Dieu peut faire un prophète. Un humain n’est que la résultante de son chemin de vie. Dieu va façonner la personne dont Il a besoin au travers des épreuves. Si le candidat échoue à l’une d’elles, alors il recommencera jusqu’à réussir. En conséquence, le jugement du prophète est altéré. Il est donc essentiel de limiter le nombre de prophète au minimum afin de toujours conserver le principe du test de la vie d’ici-bas.

Nous comprenons alors que la somme des histoires prophétiques racontées dans le Coran n’est qu’une somme  des histoires possibles. Tandis que les prescriptions légales universelles traitent de sujets qui ont provoqué des désaccords chez ceux qui appliquaient la Torah, ainsi que par rapport aux chrétiens (exemple du monachisme). Le Livre explicite dont cette sourate parle est l’ensemble de toutes les histoires prophétiques possibles tirées du Livre global. Le Livre explicite est un sous-ensemble du Livre global. Voici un verset où il est question de ce Livre. Il ne s’agit pas là d’y trouver un argument sur l’exclusion des hadiths:

6.38 Nulle bête marchant sur terre, nul oiseau volant de ses ailes, qui ne soit comme vous en communauté. Nous n’avons rien omis d’écrire dans le Livre. Puis, c’est vers leur Seigneur qu’ils seront ramenés.

A ce verset il faut lier la fameuse fin de la sourate al kahf où de manière poétique est décrite l’immense quantité d’informations contenues dans le Livre global qu’il serait impossible de transcrire en langage humain sur un support matérialisé ici-bas.

18.109 Dis: «Si la mer était une encre [pour écrire] les paroles de mon Seigneur, certes la mer s’épuiserait avant que ne soient épuisées les paroles de mon Seigneur, quand même Nous lui apporterions son équivalent comme renfort.»

Le Coran est en réalité, la matérialisation de l’histoire unique qui s’est effectivement déroulée à partir de la multitude d’histoires prophétiques contenues dans le Livre explicite. Un exemple me vient en tête. Rappelez-vous l’histoire de Youssef, paix sur lui. Il est en prison et il a l’occasion de sortir si l’un de ses deux compagnons de cellule parle à sa sortie. L’homme oublie et le prophète reste enfermé. Il finit tout de même par sortir. Il aurait très bien pu ne pas oublier et la peine aurait été écourtée. L’histoire n’en aurait pas été altérée. Une autre réalité se serait mise en place et le Coran que nous avons en main l’aurait décrite. Tout simplement. (Bien sur, ce n’est qu’un exemple, il est aussi fort possible que cet épisode était entièrement prédestiné et que la raison du retard soit justifié par d’autres événements non rapportés dans le Coran)

Le Coran est une possibilité d’un sous-ensemble d’un ensemble global. Si il est possible d’affirmer que le Livre global est incréé puisqu’il fait parti intégrante de la Création, vouloir caractériser la nature du Coran est vain.

En réalité, ce conflit était une conséquence de l’affrontement de deux visions: la croyance en la prédestination et celle en le libre-arbitre absolu.

C’est donc la prédestination qui a remporté le match au sein de l’Islam. Imprimant à la pensée islamique une potentialité à une dérive dont nous voyons l’accomplissement en ce moment même au travers de l’EI. Cette forme de dérive peut être nommée communément sionisme à des fins d’illustration. Il y a fort à parier, bien sur, que ce succès était bel et bien prédestiné, puisque le christianisme dérive quant à lui vers le libre-arbitre absolu. Question d’équilibre et de complémentarité.

La compréhension de ce texte est-elle assurée à sa lecture? Si vous répondez juste à cette question…

Attention, il y a un piège.

 

 

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https://www.stephanpain.com/2013/03/19/predestination-et-libre-arbitre/