vendredi 26 avril 2024

Mise en boite

dimanche 31 décembre 2017

Cela devait être en septembre 2014. J’avais décidé de passer le vendredi à côté de la mosquée de Créteil. Sur la carte, cela paraissait plutôt loin du centre ville et au bord d’un lac. C’est ce qui m’avait convaincu. J’étais alors en plein aménagement de mon camion et j’avais enfin déniché des coffres en plastique aux dimensions requises pour passer sous mon matelas. J’inaugurais donc mon nouveau couchage. La mosquée de Créteil est parmi les plus grandes de France. C’est le genre d’endroit où l’on peut passer totalement inaperçu, surtout le vendredi midi.

Je me souviens qu’il faisait jour et qu’il n’y avait pas grand monde, à ce moment où je sortais de la salle. C’est alors qu’un homme vint me voir avec un regard pétillant.

« Je t’ai reconnu » me fit-il.

J’ai alors fait tout mon possible pour ne pas paraître surpris. En deux ans et demi, j’avais eu tout le loisir de comprendre que jamais personne ne pouvait me dire une chose pareille. Il y avait bien eu ce type dans le magasin de la Défense dans les tous premiers débuts, mais c’était un personnage un peu lunaire, et il n’en avait guère dit plus. Et nous n’étions pas dans un contexte religieux. Ce jour-là, j’étais en qamis, et je sortais d’un lieu de culte. La phrase était tout à coup, bien moins ambiguë. D’autant que la conversation, même si je ne m’en souviens pas, confortait l’idée. Au début, cultivant une certaine part de mystère, je fis illusion quelques minutes. Dans son enthousiasme, c’est lui qui parlait. Je me contentais d’acquiescer. Je n’avais rien à faire. Il était très heureux de me proposer de venir chez lui pour partager son repas à une date dont nous conviendrions. Et puis voilà que de fil en aiguille, à force de parler de tolérance, il en vient à aborder la question israélo-palestinienne.

« Je suis en paix avec tout le monde » me dit-il. « Chacun a le droit de vivre là où il le désire. Les juifs doivent pouvoir vivre en Israël avec Jérusalem comme capitale. »

Je ne me souviens plus exactement de ce que j’ai dit à ce moment là, mais il est clair que j’ai réagit au quart de tour. Je montrais mon total désaccord. La terre promise ne me semblait plus d’actualité.

Son sourire se figea immédiatement. Je venais subitement de briser son élan et il venait de revenir à la réalité. Il n’a pas insisté et poursuivit sur la question de la tolérance. Nous nous étions mis à marcher sur le parking. A une quinzaine de mètres, des frères en qamis et grandes barbes discutaient autour d’une voiture. Des salafis. Comme mu par un réflexe, je les pointe d’un doigt accusateur pour appuyer mon propos. Il m’interrompt brusquement. Il devient alors tout à coup très hostile à mon égard.

« Comment peux-tu te permettre de juger ainsi les autres? Ce n’est pas du tout un comportement de quelqu’un qui a la foi! »

Je commençais alors à me décomposer. Patatra! Voilà que tout s’écroule.

“Mais pourtant, ils…” insistais-je.

« Récite-moi donc la Fatiha. S’il te plait. »

Humiliation ultime. Je refusais carrément.

« Il en est hors de question! »

C’était bel et bien fini. Je m’enfuyais vers mon camion, complètement déboussolé. J’ouvre la porte et grimpe sur le matelas. Un grand crac se fait entendre. Je le soulève et constate que je viens de passer au travers du couvercle de la boite en plastique toute neuve. Un signe clair. Je réalise à quel point je suis loin, loin. Pas crédible pour un sou. Il me faut me rendre à l’évidence: je ne suis qu’une coquille vide qui a tout intérêt à jouer les stars du muet. Bien évidemment, cela ne m’a pas empêché le moins du monde par la suite, de partir dans des monologues interminables en théologie à chaque fois que l’occasion s’en présentait. Là où évidemment la foi se matérialise dans les actions de coeur et le comportement. Il faut tout de même noter cette fascinante faculté de dire toujours la phrase qu’il ne faut pas dire au pire moment.

Étant donné mes faibles qualités rédactionnelles, je n’ai pas d’autre choix que de stopper ici puisque je ne vais pas réussir à tenir en haleine plus longtemps.