vendredi 19 avril 2024

Molenbeek

Dernières modifications le 1 février 2019·9 minutes de lecture

4 Juin 2018. Je viens enfin de me décider à passer la frontière. J’ai bien pris soin de sillonner dans tous les sens la banlieue de Lille. Une dernière nuit à Wattrelos. Puis direction Tournai. Ensuite, je m’arrête dans toutes les mosquées avant d’arriver à Bruxelles. Cela me prend une paire de jours. Me voilà dans le centre le 7. Avant de partir, je m’étais un peu renseigné pour trouver les endroits idéaux pour me stationner. Ce n’est pas évident de dormir en centre-ville, surtout dans une grande zone urbaine comme celle-là. Pour une nuit, en dépannage, pas de souci, mais quand on planifie de rester plus d’une semaine, il faut savoir un peu où on va. Heureusement, j’avais déniché la bonne astuce sur internet. En effet, le stationnement est gratuit et illimité sur le parvis du Cinquantenaire. Il faut juste faire attention aux panneaux qui indiquent les disponibilités. Le parking doit être vidé pour certains événements. J’ai vite compris la raison de la gratuité de ce parking. Il est en effet très excentré du réel centre de la ville. Il faut faire plusieurs kilomètres à pied. Il est situé entre le quartier européen et un quartier résidentiel où il n’y a aucune activité commercial. Ce dernier regroupe une partie de la bourgeoisie bruxelloise. Les quartiers populaires, où près de la moitié de la population est musulmane, sont situés de l’autre coté de la ville, à l’exacte opposé, c’est à dire à l’ouest. C’est un peu la même configuration que Paris mais en inversé. Comme j’ai bien compris qu’il est quasi impossible de se garer dans les quartiers ouest en semaine, je vais donc choisir de laisser mon camion au Cinquantenaire, et de vadrouiller dans Bruxelles durant la journée. C’est ainsi que je vais faire un grand nombre de kilomètres à pied durant ces très longues journée de Ramadhan (le jeune commençait vers 3h15 à la grande mosquée). Ce campement de base comporte l’énorme avantage d’être situé à une centaine de mètres de la grande mosquée de Bruxelles. Initialement, c’était le pavillon oriental de l’exposition universelle au 19ème siècle. Ce n’est qu’en 1967 que le bâtiment fut offert à la couronne saoudienne. Le centre islamique est donc administré par les saoudiens depuis cette époque. Lorsque je suis trop fatigué pour me rendre dans les autres quartiers, je reste donc dans cette mosquée, qui est très bien équipée et très accueillante. L’influence saoudienne saute aux yeux.

Pour mon premier vendredi, je décide d’aller en plein coeur de Molenbeek. Après tout, je suis venu pour témoigner de ce qui se passe dans ce quartier en particulier. Il faut savoir qu’en Belgique la communauté musulmane est très différente de son homologue française. Elle est, en effet, beaucoup plus communautariste. La moitié des musulmans sont des marocains. Ils sont quasiment les seuls maghrébins. Sinon, il y a une forte communauté africaine, qui tient ses propres mosquées. Et les turcs, bien sur, qui sont très implantés en Allemagne. Je ne vais pas du tout les visiter car en Belgique, il est quasi impossible de trouver des turcs parlant le français. Contrairement à la France, il y a beaucoup moins de convertis. Et mon arrivée passe rarement inaperçue. J’ai eu souvent l’impression que l’on se méfiait de moi. Le meilleur exemple était dans une mosquée flambant neuve où j’engageais la conversation avec un homme. Je lui parlais architecture car l’endroit était très particulier avec un pilier central et une salle entièrement vide. Les piliers dans les rangs sont toujours un problème. La seule mosquée où l’on a déployé des trésors d’ingéniosité pour faire disparaître les piliers, à ma connaissance, est Strasbourg. L’homme, plutôt nerveux, au bout de quelques phrases, se met à se justifier sur les accusation d’un foyer de djihadisme à Molenbeek (nous sommes alors dans le quartier qui le jouxte par le nord). Je suis un peu surpris de son changement de sujet. Je comprends que les gens d’ici sont mal à l’aise. J’ai préféré ne pas rester. Pour ce premier vendredi donc, me voilà en plein coeur de Molenbeek. Une mosquée marocaine. Le prêche est en arabe. Mais ce n’est pas le principal problème. Pour que vous compreniez, je l’ai surnommé l’imam mitraillette. Non pas, qu’il était question d’arme à feu, mais que l’homme avait un débit de parole hallucinant. On aurait dit qu’il essayait de caler le maximum de mots en un minimum de temps. Cela était pire durant les invocations. Cela allait tellement vite que je me suis demandé si un arabophone était capable de comprendre. Je trouvais ça à la limite du supportable. Il m’a vraiment cassé la tête, qu’Allah me pardonne l’expression, mais c’est juste la réalité. Je n’ai jamais vu cela ailleurs en presque 200 mosquées. L’ambiance dans la mosquée n’était pas spécialement chaleureuse. Bilan mitigé donc, pour cette première jumuah. Il est clair que le quartier est pauvre. C’est assez curieux car dès que l’on s’éloigne, cela s’embourgeoise très rapidement. Les mosquées sont en rapport et l’ambiance aussi. Rien de différent avec la banlieue parisienne somme toute. Alors au fond, comment expliquer que Molenbeek ait si mauvaise réputation? Eh bien, la réalité, c’est que je suis bien incapable de le dire. Je suis resté en surface. Est-ce qu’il s’agit de ma personnalité puisque je ne suis pas issu de quartier populaire? Est-ce la barrière de la langue? Est-ce que ce quartier tient à conserver son identité en se repliant sur lui-même et rend impossible de véritablement le découvrir en un temps limité? Un peu de tout cela.

Un après-midi, en marchant dans la rue, je tombais sur une petite mosquée de quartier non indiquée sur Maps. Une simple entrée de racks de chaussures ouvert sur une enfilade de salles aménagées dans l’immeuble par des africains. Il ne me semble pas avoir vu ne serait-ce qu’une porte à l’entrée. Il y a tout un tas de monde qui va et vient. Une conférence a lieu. Les gens assistent avec sérieux. Une fois finie, cela redevient un lieu de vie. Malheureusement, c’est trop bruyant pour moi. J’ai beaucoup marché et j’ai besoin de dormir dans ces quelques heures avant la tombée de la nuit. Un peu agacé, je reprends ma route et à quelques blocs de là, découvre cette fameuse mosquée dont on achève les derniers travaux. C’est exactement l’exact opposée de celle que je viens de quitter. C’est une grande façade vitrée sur une quinzaine de mètres. Cette fois, je vais profiter d’un léger malentendu pour me faufiler à l’intérieur. En effet, les portes sont fermées entre les prières. La salle, qui est immense, est donc vide. On me laisse m’écrouler dans un coin. L’ambiance est curieuse. Les gens sont stressés. Je suis frappé par la richesse des lieux. Le décor de grande dimension autour du minbar est somptueux, tout en bois sculpté. Il y a des caméras, des écrans de projection, des ordinateurs. Je comprends bien pourquoi l’endroit est fermé, il y a beaucoup de matériel. Trop à mon gout. De temps en temps, je sens des regards de biais qui se demandent la raison de ma présence. C’est ce qui m’a fait me sentir mal à l’aise en premier lieu. Pour le coup, ce n’est donc pas l’atmosphère feutrée qui m’a fait me lever et partir. Je n’y ai même pas fait une seule prière. C’est dire. Quelle contraste entre ces deux endroits situés à peu de distance l’un de l’autre. La voie du juste milieu se situe donc tout simplement entre les deux, ni trop luxueux, ni trop géré de manière laxiste. La mosquée, même si elle est considérée comme un lieu de vie par les musulmans, ne doit jamais perdre son statut de lieu d’adoration.

Rassurez-vous. Une semaine plus tard, je me suis rendu dans une autre mosquée typique de Molenbeek, dont j’avais lu un article avant de partir. Autant la première jumuah m’avait laissé un gout amer, autant cette fois là je vivais une expérience forte. Le prêche était en français. J’ai donc pu apprécier le message de paix porté par l’imam. C’est ce genre de personne qui vous fait comprendre immédiatement que vous êtes dans un lieu à part, placé là par Allah à dessein. Voilà qu’au beau milieu de Molenbeek, je découvrais cette havre de paix qui tranchait radicalement avec tout ce que j’avais pu voir autour. C’est quelque chose que vous pouvez ressentir à peine le seuil franchi et qui vous accompagnera encore un long moment après avoir quitté les lieux. Ce jour-là, j’ai compris que c’était là que mon voyage devait me mener. Cela venait confirmer une fois de plus, cette théorie du bien et du mal qui se côtoient. Souvenez-vous, c’est toujours là où il y a un grand bien que le mal vient s’incruster et c’est toujours là où le mal règne qu’un immense bien vient tout contrebalancer. Il était donc temps pour moi de quitter Bruxelles. Le Ramadhan venait de s’achever.

Mais avant d’achever cet article, je voulais revenir sur la grande mosquée. Toujours dans cet esprit de dualité. Cette fois, c’est beaucoup plus radical. Quelques deux cents mètres, et je voyais les immenses bâtiments européens. Sur l’un d’eux, tout en haut, à des dizaines de mètres du sol, on pouvait lire: #teamjun*ker. Quelle immense marque d’orgueil, me disais-je. Tous ces gens que je croise, en costard-cravate, et qui rivalisent les uns par rapport aux autres en pensant faire et défaire le monde. Ces gens-là ne me considèrent pas. Je ne suis qu’un moins que rien, un raté. Leur univers, du verre, du béton et du trafic. Des gens qui se croisent et ne se parlent pas. Les maîtres de leur monde durant la journée. Et puis voilà qu’à la nuit tombée, toute une foule grouillante se presse dans le centre islamique. Ils sont de tous pays, de tous niveaux social. Ils s’empressent à l’appel de leur Seigneur. Alors oui, les règles sont strictes. A la saoudienne. Mais quand on réalise la diversité de culture, on comprend alors la nécessité de telles mesures. Nous ne sommes plus à Bruxelles dans le quartier européen, mais dans la maison d’Allah, hors du temps. Tous sont au même niveau lorsqu’ils posent leur front par terre en soumission à Celui qui fait et défait réellement le monde.

Quoi de plus beau qu’une fleur au milieu des immondices?
C’est là tout l’esprit de ce soleil jaune qui rayonne dans les pires endroits de la France.

Paix sur vous.