vendredi 26 avril 2024

Les kheys

Dernières modifications le 22 janvier 2019·5 minutes de lecture

Ramadhan 2018. Je viens de prendre la direction du nord avec pour objectif Bruxelles. Mais avant de quitter le territoire, j’ai décidé de passer quelques jours dans la banlieue de Lille. Il y a une forte communauté maghrébine et je voudrais comparer avec la banlieue parisienne. Ce n’est qu’une fois sur la route que je réalise que les journées sont bien plus longues en allant vers le nord. Tant pis. Cela fait maintenant trois ans que j’ai ce projet en tête. Je n’ai pas choisi la date. C’est tombé ainsi et il va falloir faire avec.

Il y a un grand nombre de mosquées dans la banlieue lilloise. Je vais de l’une à l’autre. Des grandes, des petites. Bien souvent, je mange dans des espèces de cantines qui sont parfois assez éloignées des mosquées. Il y règne toujours cette ambiance propre au mois de Ramadhan. La journée je me balade dans des parcs et des forêts. Rien de très sportif de toute façon. Un après-midi, je débarque dans un quartier un peu chaud. Voitures de luxe de location qui tournent. Quads qui font les fous. Il n’y a en gros qu’une rue principale où les commerces s’étalent. Autour, seulement des rues pleines de bâtiments à quelques étages, lieux de résidence pas vraiment reluisants. Je me gare à 30 mètres de la mosquée dans la rue principale. Il y a beaucoup de passages, mais de toute façon les nuits sont courtes, et j’ai prévu d’aller dormir après le fajr dans une autre ville beaucoup plus calme à quelques kilomètres de là. Là où je suis garé, je ne peux donc pas rester dans le camion. Je décide donc d’enfiler mon qamis et de me balader dans le quartier pour tuer les heures qui me séparent du coucher de soleil. Ainsi vêtu, en cette période, je sais pertinemment que je vais provoquer des réactions. Et c’est un peu ce que je recherche. Je suis en mode “Antoine de Maximy” sans les caméras et sans objectif particulier. Je finis par tomber sur un premier homme à coté de sa voiture. Il m’aborde d’un ton enjoué et me pose quelques questions. Certains maghrébins sont toujours un peu surpris de voir un français de souche converti. Alors ils sont curieux. Nous échangeons un peu et je reprends ma route. Quelques temps plus tard, j’arrive devant les grilles d’un parc urbain. Pour me changer du béton, je cherche un moyen de rentrer puisque l’horaire est encore raisonnable. C’est alors qu’un jeune de quartier m’apostrophe. Il me dit de laisser tomber la visite. Je me dirige vers lui afin d’en savoir plus. Il est avec ses potes. Ils ont garé leurs voitures proches de l’entrée du parc. Ils tiennent les murs. A vrai dire, ils sont assez amusés de me voir ainsi accoutré. Eux, ils sont habillés comme des jeunes de cité, avec des trucs plutôt à la mode. Mais l’instant du premier contact un peu moqueur passé, ils ne peuvent réprimer leur curiosité et commencent à me poser tout un tas de question. Sur la religion, sur le rapport au pouvoir, sur le complotisme. Bien loin d’être des incultes, ils se posent, en réalité, un grand nombre de questions. Ils sont assez contents d’échanger leur point de vue avec le mien. En matière de religion, il est clair qu’ils en savent quasiment autant que tous ceux qui peuplent les mosquées. La culture islamique est encore puissante. Même ceux qui s’en tiennent loin, en possèdent toujours les clefs civilisationnelles et une certaine grille de lecture du monde dans lequel nous vivons. Assez vite, je perçois le paradoxe de la foi en le Créateur et de l’état de péché dans lequel ils vivent constamment et dont ils sont totalement conscients. J’aimerais comprendre. Pourquoi, si ils ont la foi, ne vont-ils pas à la mosquée? Pourquoi ne prient-ils pas? Ils m’expliquent qu’ils n’en sont pas dignes. Ils ne veulent pas être des hypocrites et souiller les lieux par leur présence. “Vous vous rendez compte de ce que vous me dites?” dis-je. “On dirait que vous avez honte.”
C’est alors que je repense à la parabole du pharisien et du publicain. De cette opposition entre celui qui se dit vertueux et celui qui se dit pécheur. Que ceux qui sont les gens de mauvaise vie devanceront les autres dans le royaume. Je commence à comprendre.
“Ils ne veulent pas de nous les barbus. Ils pensent que nous sommes des racailles.”

Je suis resté très longtemps à discuter avec eux. Puis est venu l’heure de la prière. J’aurais tant voulu qu’ils m’emboîtent le pas. Mais ils ne l’ont pas fait. Un jour peut-être. J’étais très heureux de cette rencontre et j’ai bien senti que eux aussi quand j’ai du les quitter. Mais avant cela, j’ai tenu à leur dire une chose importante à mes yeux:
“Vous savez, je me balade. Je vais de mosquées en mosquées. Je croise beaucoup de barbus persuadés d’être de bons croyants. Et pourtant, voyez, les seuls avec qui j’ai eu une véritable discussion, où chacun s’écoute et n’est pas dans le jugement de l’autre, c’est avec vous. Je veux vraiment que vous compreniez ça.”

Salam aleykoum les frères.

GILETS JAUNES CLIP OFFICIEL D1ST1
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