mercredi 24 avril 2024

Dioxygène

 

Dernières modifications le 9 novembre 2018·12 minutes de lecture

L’idée ici n’est pas de se plaindre ou de chercher à attirer l’attention à n’importe quel prix. Il est des expériences que nous vivons et qui demeurent personnelle. Si je ressens le besoin de livrer cette histoire publiquement, c’est avant tout dans l’espoir qu’elle puisse servir autrui. Bien loin de figurer en héros, j’aspire à être transparent quant aux enseignements divins, à n’être qu’un outil. Je suis intimement persuadé que ces enseignements ont souvent un potentiel qui va bien au delà de ma compréhension. Aussi, je m’attache à demeurer le plus factuel possible et ne pas livrer mon interprétation propre. Ambition illusoire, bien sur. Je garde bien des choses. Certaines apparaissent un jour sans crier gare. L’histoire qui va suivre fait partie de celles-ci.

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours connu ma mère souffrant du syndrome de Diogène. Des articles sont écrits sur le sujet. Il s’agit d’un trouble du comportement qui conduit à vivre dans des conditions de vie négligées. J’ai du apprendre à cohabiter avec une telle personne. Pas besoin d’être un expert en psychologie pour comprendre que ce trouble est lié à un traumatisme affectif. Malheureusement, il ne m’était pas possible d’identifier clairement celui-ci. Je ne pouvais qu’émettre des suppositions. Avec le temps, et après mon départ, son trouble s’était aggravé. Au moment de son hospitalisation son appartement était devenu presque insalubre. Voici une photo prise en 2013:

Le coin TV dans le salon

Je ne suis pas un maniaque du rangement, loin de là, mais jusqu’ici j’étais parvenu à garder les choses en ordre. Ma vie est un joyeux chaos en dehors de cela. Seulement voilà, au cours de l’année 2018, j’ai du admettre l’évidence: j’avais progressivement sombré. A en juger par l’état de mon appartement, il me fallait comprendre que j’étais clairement en dépression. Pour n’avoir pas vu les choses venir, c’est surtout que j’étais dans le déni. Refusant l’aide d’autrui, cette aide ne pouvait provenir que de Celui qui voit tout.

Deuil, détresse amoureuse, sentiment de rejet de mes publications, impression d’être perdu spirituellement, échec social? Pourquoi étais-je dans ce triste état? Et puis un jour, c’était un jeudi, je conduisais le camion de l’association au retour de la porte de la Chapelle. Le téléphone sonne. Je mets le haut-parleur. Je crois alors que mon téléphone a un problème. Ce n’est qu’en rentrant chez moi que je porte l’appareil à mon oreille gauche. J’entends parfaitement. Je réalise que je viens de perdre une grande partie de mon audition subitement. Le stress monte. Au bout d’un moment, vient s’ajouter à cette surdité une sorte de grésillement horrible. En quelques heures ma vie vient de tourner au cauchemar. Dans l’espoir d’un retour à la normale, je place un bouchon dans mon oreille droite pour m’éviter trop de fatigue. C’est très handicapant, car au sein de l’association je passais beaucoup de temps au téléphone pour donner rendez-vous aux familles bénéficiaires de notre aide. En temps normal, c’est un rôle stressant car il faut sans cesse apprendre à composer avec les situations et les comportements de personne qui sont avant tout instables socialement. Ne voyant aucune amélioration, je prends rendez-vous avec un spécialiste. Il me fait passer un test d’audition:

J’ai perdu 40% de mon audition d’un seul coup. L’homme est incapable de me fournir une explication. Il me prescrit des corticoïdes. Le traitement est inefficace pour traiter mon audition mais s’avère clairement néfaste pour l’organisme. Je me sens comme sous l’effet d’une puissante drogue de synthèse et je suis incapable de dormir. De retour chez le spécialiste, il me propose de prolonger le traitement. Etant au fond d’un naturel naïf, j’ai obéis. Pas longtemps, je vous rassure. J’ai cessé cette mascarade thérapeutique. Je suis immédiatement tombé malade: mon système immunitaire avait été gravement atteint par la molécule. Quelques jours plus tard, de nouveau sur pieds, j’avais enfin la réponse. Une amie avait eu exactement le même problème. Malheureusement pour elle, comme personne ne fournissait un diagnostique valable, son état s’est empiré. Elle faisait des malaises et a été contrainte de cesser de travailler. Son calvaire a duré plusieurs mois. Jusqu’au jour où un professionnel lui a expliqué que le stress se manifestait chez elle par une contraction de la machoire. Cette contraction provoquait une surpression de l’oreille interne et, partant, une surdité et des maux de têtes. Peu de temps après, elle retrouvait donc une vie normale.

De la même manière, ayant identifié la cause, j’ai pu veiller à éviter de serrer les dents alors que je n’en étais pas complètement convaincu. Les premiers jours, mon audition est revenue. Cependant, elle était affectée au réveil: il me fallait donc admettre que je serrais les dents durant mon sommeil. Les choses sont rentrées dans l’ordre au bout de quelques jours. Mais si j’avais réussi à supprimer un symptôme, le stress n’avait pas disparu pour autant. Quelques jours plus tard, le Ramadhan débutait. Stress, fatigue et jeûne: un cocktail détonant.

Il faisait beau ce jour là. Un beau jour de Mai. Je ne voulais pas aller voir les migrants. Je ne comprenais pas l’intérêt de traverser Paris à l’heure des embouteillages pour aller amener deux cagettes de viennoiseries. Cela me paraissait absurde. Comme d’habitude, même si je marquais ma désapprobation, je finissais toujours par accepter. Au nom du “bien”. Ce jour là, le périphérique était particulièrement chargé et je m’endormais au volant. Je me sentais en danger physiquement. J’ai vécu énormément de situations que je désapprouvais, mais c’était la première fois que j’éprouvais un tel sentiment. La limite était franchie. Au moment de prendre la route, le ciel est devenu subitement menaçant. Au fur et à mesure que nous nous rapprochions de Paris, un orage violent s’est abattu puis intensifié. Le chaos. On peut nier les Signes, mais parfois ce n’est pas possible. Le déni a des limites. La porte Maillot est complètement bloquée. Chose inhabituelle, nous empruntons l’avenue Foch dans l’espoir de traverser Paris par l’intérieur. Un mur d’eau s’abat sur nous. L’avenue est littéralement coupée en deux. Le niveau est trop haut pour que les voitures puissent passer. Nous ne sommes pas inquiétés grâce à notre garde au sol mais nous ne pouvons pas passer. Un déclic se fait dans ma tête: ce qui se passe est totalement anormal. C’est comme si une main invisible nous empêchait de passer. Je saisis ma chance, je fais brusquement demi tour et propose de rentrer au local. Ou plutôt, je dirais que c’est moi qui laisse une dernière chance…
ou plutôt c’est Lui.

Article du Parisien

Paris, 22 mai 2018

Ce sera le périphérique direction la Chapelle. L’orage se calme. On pourrait penser que c’est de bonne augure. J’ai bien compris que c’est tout le contraire. Dans ma tête, je ne suis déjà plus là. J’attends seulement que cet épisode s’achève pour mettre un terme à toute cette histoire. Une fois les croissant distribués, je m’affale sur le siège passager. Sans un mot. Une fois de retour à Nanterre, je récupère le camion pour rentrer chez moi (pour des questions de stationnement) comme à l’habitude. Ma décision est prise. Elle est irrévocable. Je me repose un peu avant l’heure de rupture du jeûne tout en réfléchissant à ce que je vais faire cette nuit là. Je retourne au local pour y chercher quelques affaires. Une fois chez moi je prends mon vélo et le met dans le camion. Direction la mosquée où toute cette histoire a commencé. Il est deux heures et demi du matin lorsque je gare le camion sur le trottoir en face. Je suis persuadé que je trouverai une solution pour confier les clefs. Et c’est le cas. Dieu est avec moi. Loué soit son Nom. Un homme est encore là, sur le trottoir, affairé à cette heure avancée, ayant fait le choix de ne pas dormir la nuit. Lui comme une évidence. La boucle est bouclée. Les clefs sont en lieu sûre. Il est surpris par mon attitude mais il n’a pas le temps de se questionner d’avantage. Je disparais dans la nuit.

Ai-je pris la bonne décision? Suis-je un lâche? Suis-je incapable de mener à bien les missions du Créateur. Est-ce que j’agis pour le bien? Toutes ces questions m’assaillent. Et des milliers d’autres encore. Je ne vais pas pouvoir rester à ressasser entre quatre murs jusqu’à la fin du Ramadhan. Depuis les attentats de 2015, j’avais éprouvé l’envie sinon le besoin de me rendre à Molenbeek. Je voulais comprendre ou tout du moins témoigner. Je jette des affaires dans un sac, je me saisis de mes clefs et prends la route direction plein Nord. Dans un prochain article, je raconterai mon séjour en Belgique. Dans celui-ci, je vais vous rapporter un épisode situé dans la banlieue de Lille.

Me voilà en plein coeur d’un quartier très défavorisé. Des véhicules de toutes sortes passent en mode rodéo. Je suis garé dans la rue devant la mosquée. Il y a beaucoup de bruit et de passage. Qu’à cela ne tienne, j’ai prévu de lever le camp sitôt la prière de fajr terminée, car les nuits sont très courtes et peu réparatrices en règle générale. De l’argent a été mis sur la table pour la construction de la mosquée. Mais la paix sociale parait impossible à acheter parfois. Maghrib s’achève. Il n’y a pas d’iftar d’organisé. Je tente de trouver une solution. C’est alors qu’un homme m’aborde. Tout naturellement, il me propose de venir rompre le jeûne chez lui. J’accepte. Ce n’est pas souvent que je suis invité par un inconnu à la sortie d’une mosquée. C’est même très rare. Il ne s’agit pas ici de me glorifier, mais je tiens juste à appuyer sur le fait que j’ai parcouru beaucoup de kilomètres et rendu visite à tant de communautés que j’estime être en mesure de savoir ce qu’il en est. Durant mon périple, cet homme a été la seule personne qui m’a accueilli chez lui. A ce moment là, je ne le savais pas, mais ce n’est pas très important. Pendant tout le temps où j’étais avec lui, je n’ai pas beaucoup parlé de moi. Je n’ai donc pas influencé ses propos. Il me raconte donc qu’il travaille bénévolement à récupérer des invendus pour les redistribuer à des familles pauvres. Un sourire se lit sur mon visage. Cette rencontre n’est donc pas le fruit du hasard. Je ne suis pas au bout de mes surprises. Nous tombons sur un jeune voisin de son immeuble. Il accepte de se joindre à nous. Ils avaient déjà sympathisé mais il n’était jamais venu chez l’homme. Voilà une bonne occasion. Mon sourire se fige au moment de pénétrer dans l’appartement. Comme un vieux souvenir horrible qui refait surface. Un bric-à-brac monstrueux s’amoncelle jusque dans l’entrée. Je fais mine de rien ainsi que le jeune. Nous nous frayons un passage dans la cuisine. Il déplace des cartons pour me faire asseoir. Le jeune s’installe à coté de moi. Nous sommes pris au piège. Me voilà dans un grand dilemme. Puis-je manger en toute sérénité? Ne vais-je pas tomber malade? Dans ma situation précaire, ce serait dramatique. Je choisis de faire confiance et de vivre cette expérience jusqu’au bout. Le jeune homme prend une toute autre décision. Il invente une histoire pour se soustraire à l’épreuve. Il n’accepte que quelques produits qu’il considère sans danger par politesse et finit par prendre congé. L’homme a fait semblant d’être naïf. Comment en vouloir au jeune homme? J’avoue que je n’étais pas rassuré. Tout cela ne me paraissait pas très frais et le goût bizarre.
Bismillah!
L’homme poursuit. Il me fait part de ses ressentiments à l’égard de ceux qui se disent croyant de sa communauté. Après d’amères expériences, il a compris qu’il n’obtiendrait pas beaucoup d’aide dans ses actions caritatives. Alors, il agit seul. Dans la cuisine, il y a un grand nombre de produits périmés, attestant de son activité. La tête me tourne. J’étouffe. C’en est trop. Il y a trop de similitudes avec ma propre vie. C’est insupportable. Je n’arrive plus à parler. Tétanisé par la peur d’en savoir encore un peu plus sur lui. Submergé par une émotion que je tente tant bien que mal de dissimuler. Il n’a pas su pour l’effet miroir. Rien.

Nous revenons à la mosquée pour ishaa. Il disparait de ma vie. Je suis dévasté.
Près pour de nouvelles aventures: je vais bientôt passer la frontière.

Des questions, des questions. Aurais-je du en savoir plus? Aurais-je du lui parler de moi et exposer le lien qui nous unissait? Étais-je passé à coté de la résolution du problème par peur?

Fin du Ramadhan. Je rentre à Paris. J’achète le kayak. Nous voilà début Juillet. Direction le sud cette fois. Vers la Haute Loire.
En chemin je m’arrête dans une mosquée du centre de la France où j’avais sympathisé avec un homme quelques années plus tôt. A peine arrivé, je tombe sur lui. Nous sommes contents de nous revoir. Cette fois pas question de me laisser dormir dans mon camion au coin de la rue: il me propose de venir chez lui. A ce moment là, il n’y a donc eu personne entre lui et le premier homme du nord. Je suis confiant. Je ne vois pas le truc arriver. Enfin si…
Sur la route il m’explique que depuis ma venue il s’est lancé dans la collecte de nourritures et qu’il s’occupe de réfugiés. Je passe la porte. La maison est sans dessus-dessous. Cette fois là aussi, je n’ai pas réussi à me confier. Je l’ai écouté. Il m’a lui aussi fait part de sa déception quant à l’investissement des fidèles. Et comprenez bien que cet homme est un des responsables de la mosquée de sa ville. C’est une crème. Si vous saviez. D’une gentillesse.
D’écrire cela me donne envie de pleurer.
Je vais vous laisser. A bientôt.

Sois courageux dans les épreuves à venir. Si tu es parvenu jusqu’ici, c’est que le Créateur a placé sa confiance en toi. Je ne suis qu’un transmetteur.
Paix sur toi.